PROCESSUS DE PAIX AU MALI: Un accord de paix pour promouvoir le conflit


Mali : Un accord de paix pour promouvoir le conflit

Cet article est une version française de l’analyse de Jeremy Keenan « Mali: A peace deal to promote conflict », paru dans Middle Esat Eye. Jeremy Keenan, professeur associé et chercheur à l’École des études orientales et africaines, est consultant sur le Sahara et le Sahel pour de nombreuses organisations internationales.Dans cet texte il évoque le rôle de l’Algérie dans le conflit qui oppose l’Azawad au Mali et estime que rien n’est vraiment fait pour promouvoir la paix ; c’est plutôt la porte ouverte à de nouvelles violences et une situation chaotique quasi-certaine. Son article contribue, indéniablement, à la compréhension de la situation dans l’Azawad. Keenan montre également les véritables visées du document d’Alger présenté comme étant un accord de paix et qui a été signé, une deuxième fois, le 20 juin à Bamako.

Vingt-huit mois après l’intervention militaire de la France au Mali, en janvier 2013, pour mettre fin à l’insurrection extrémiste islamiste et à « la crise » au Mali, une cérémonie de signature à grand tapage a été prévue dans la capitale, à Bamako, le 15 mai 2015.

Les signataires prévus sont le gouvernement du Mali, un certain nombre de milices, soutenues par le gouvernement, et la Coordination pour les mouvements de l’Azawad (CMA). La CMA comprend une demi-douzaine de groupes, y compris les deux principaux groupes rebelles touaregs, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA), qui ont pris les armes en janvier 2012 pour l’indépendance de « l’Azawad », nom que donnent les Touaregs au nord du Mali.

La cérémonie a été une honte pour ceux qui en faisaient la promotion. Le ministre des Affaires étrangères du Mali, Abdoulaye Diop, trois représentants des milices pro-Bamako (qui avait déjà fait partie de l’insurrection islamiste qui a dominé le nord du Mali en 2012) et deux membres mineurs de la CMA sont les seuls à avoir signé l’accord rédigé par Alger. Le MNLA et le HCUA ont refusé de signer.

Pierre Boilley, historien français spécialiste de l’Afrique et autorité internationalement reconnue sur le Mali, a décrit l’accord de paix comme ne valant pas le papier sur lequel il avait été écrit. Je l’avais précédemment décrit comme une farce.

Les deux descriptions en fait ne vont pas tout à fait au fond des choses. L’accord de paix est bien pire que cela car le conflit et l’instabilité que cet accord de paix va provoquer, auront des conséquences, notamment en termes d’expansion du militantisme extrémiste, pour les régions du Sahel et d’Afrique du Nord en général.

Les retombées de l’attaque de la Libye par l’OTAN.

La crise qui a englouti le Mali en 2012 était une conséquence directe de l’invasion imprudente de la Libye par l’OTAN. À la fin de 2011, les combattants touaregs de retour de Libye ont rejoint ce qui restait de la rébellion touarègue de 2008-2010 au Mali pour former le MNLA. En janvier 2012, ils ont pris les armes et mis en fuite rapidement l’armée malienne qui était mal dirigée et mal équipée. En avril, ils ont déclaré l’indépendance de l’Azawad.

L’Algérie, craignant toujours qu’une rébellion touarègue réussie au Sahel puisse déclencher des troubles en Algérie, a réussi à saper la rébellion du MNLA en suscitant une “insurrection islamiste” au nord du Mali –comprenant trois groupes islamistes : Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), Ansar al-Dine et le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) – que son service secret, leDépartement du Renseignement et de la Sécurité (DRS ), contrôlait largement. Le MNLA a rapidement été mis à l’écart alors que les islamistes ont pris le contrôle de l’Azawad. Leur menace pour le sud du Mali et Bamako a été éliminée par l’intervention militaire de la France.

La cérémonie de paix du 15 mai 2015 a été couvée pendant près de deux ans, à partir de l’Accord de Ouagadougou de juin 2013. Signé par le gouvernement du Mali et par le MNLA et HCUA, cet accord convenait d’un cessez-le feu, d’une élection présidentielle (le 28 juillet) et du début des pourparlers de paix dans les soixante jours suivant les élections.

Le processus de paix qui a suivi est un exemple classique de comment ne pas résoudre les conflits ni construire une paix, même temporaire, sans même parler de paix durable.

Ceci n’a jamais été l’intention ni du gouvernement malien ni de l’Algérie qui avait offert ses services, ou comme certains pourraient le dire, qui s’est imposée comme intermédiaire au Mali et à la communauté internationale.

Dès que Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a été élu président, la stratégie politique du gouvernement du Mali envers les rebelles et le processus de paix a reflété la dangereuse et populiste humeur des rues de Bamako et le désir de vengeance militaire de la direction politique et militaire suite à l’humiliation de l’armée malienne par les rebelles.

Diaboliser les Touaregs.

Aidé et encouragé par un certain nombre d’universitaires et de journalistes, qui font l’apologie du régime de Bamako, le gouvernement d’IBK diabolise les rebelles touaregs en les traitant de « terroristes », « trafiquants » et « criminels ». Cette diabolisation s’est intensifiée lorsque le MNLA et le HCUA ont refusé d’accepter l’accord de paix d’Alger, qui leur a été présenté le 27 février 2015, pour n’avoir fait aucune concession quant à l’autonomie ou au fédéralisme qu’ils avaient demandés depuis le début des pourparlers d’Alger en juillet 2014.

L’Algérie n’est pas davantage motivée par l’objectif d’une paix durable. Ses principaux intérêts ont été de deux ordres. L’un est d’empêcher un accord de paix qui donnerait aux Touaregs une forme quelconque d’autonomie gouvernementale ou de droits politiques. L’Algérie craint que cela puisse déclencher des troubles et des tendances sécessionnistes parmi sa propre population touarègue.

Les Touaregs de l’Azawad ne font pas confiance à l’Algérie. Ils savent que le DRS est derrière l’insurrection islamiste qui a fait dérailler leur rébellion en 2012. Plusieurs accusent maintenant le DRS d’user de menaces, de promesses et de paiements monétaires pour infiltrer le MNLA et le cajoler afin de signer l’accord de paix. Les plans de l’Algérie pour le Mali sont de préserver le statu quo plutôt que tout autre système politique progressiste. Il n’est pas surprenant que les media marocains l’aient accusée de pousser le Mali à la guerre civile.

Deuxième intérêt de l’Algérie, les hydrocarbures. En juillet 2014, quand il a été décidé que les pourparlers de paix se tiendraient à Alger, laSonatrach, compagnie pétrolière nationale algérienne, a contacté les autorités maliennes pour s’assurer que sa licence dans le nord du Mali était encore valide et pour indiquer qu’elle allait commencer le forage exploratoire une fois l’accord de paix signé.

Trois mois plus tard, dans ce qui est censé avoir été un accord secret avec l’Algérie, le Mali a annulé dix concessions pétrolières étrangères d’exploration et des accords de partage de production dans les bassins de Taoudeni et Gao au nord du Mali et le bassin de Nara dans l’ouest, au motif qu’ils n’avaient pas été repris (à cause de l’insécurité). On soupçonne qu’ils devaient être offerts à la Sonatrach, suite à la livraison d’un accord de paix satisfaisant pour le gouvernement de IBK.

Par ailleurs, les pourparlers de paix à Alger, se déroulant sur plus de huit mois, étaient une sorte de “paix par diktat”. Alger a gardé les différentes parties séparément, avec les rebelles touaregs qui n’ont jamais eu plus de quelques minutes de dialogue direct avec leurs adversaires. Le résultat fut un accord de paix auquel ils n’avaient pratiquement pas participé.

L’Occident ignore le sort des Touaregs.

La communauté internationale, de l’ONU aux Etats membres de l’Union européenne (UE), est restée remarquablement mal informée à la fois sur la situation des Touaregs et des intérêts régionaux de l’Algérie. Cette même communauté étant obsédée d’abord par une notion de sécurité promue par les Etats-Unis et ensuite par ses propres intérêts géopolitiques.

Alors que le Premier ministre du Mali ne pouvait pas signer l’accord rédigé par Alger assez rapidement le 1er mars, la CMA a demandé un ajournement pour s’enquérir de l’avis de son propre peuple. Avec quelque 3.000 délégués locaux de la CMA exprimant leur opposition au projet d’accord, le porte-parole de la CMA, Bilal ag Acherif, a dit qu’il n’avait pas été pris en compte “les éléments essentiels des aspirations légitimes du peuple de l’Azawad” et que la CMA « demandait une réunion avec les médiateurs et les partenaires internationaux » pour discuter de la suite du processus.

Alors que le gouvernement du Mali rejetait immédiatement cette demande, la communauté internationale estimait que le MNLA et le HCUA cèderaient à son inimitable pression, à ses menaces de sanctions et aux injonctions du DRS algérien. Mais les rebelles tinrent bon, avec ces membres de la communauté internationale qui dans la farce Bamako avaient l’air un peu stupide.

Le résultat de l’accord de paix est que le gouvernement du Mali avec l’armée peut maintenant revenir à la guerre, comme il a voulu le faire ces deux dernières années, et sans doute une fois de plus va-t-il être humilié ; les trafiquants de drogue peuvent retourner aux affaires qu’ils n’avaient jamais vraiment interrompues ; les anciens « terroristes » du MUJAO, à présent milice gouvernementale servant par procuration l’armée du Mali, peuvent continuer à faire des ravages ; la politique étrangère de l’Algérie pour déstabiliser ses voisins peut se garantir un nouveau succès ; la France sera en mesure de légitimer sa présence militaire post-coloniale soutenue dans la région ; la vendetta locale touarègue s’intensifiera probablement ; les agences d’aide internationales vont pleurer des larmes de crocodile et se tordre les bras de désespoir, tandis que l’ONU continuera dans son rôle distant qui consiste d’abord à ne pas trop savoir ce qu’elle est censé faire dans la région.

Les perdants, bien sûr, seront les populations civiles – femmes, enfants, vieillards et infirmes – de tous les groupes ethniques de la région qui ont déjà souffert terriblement.

Depuis le 15 mai, soit dix jours avant cet écrit, il y a eu au moins douze foyers de combats dans le nord et le centre du Mali. A moins que cela soit arrêté très tôt, cette reprise des combats peut potentiellement déclencher des troubles plus étendus dans la région et exacerber la situation déjà chaotique en Libye et les tensions dans d’autres pays voisins.

Jeremy Keenan est professeur associé et chercheur à l’École des études orientales et africaines. Il a écrit de nombreux livres, dont The Dark Sahara (2009) et The Dying Sahara (2012). Il est consultant sur le Sahara et le Sahel pour de nombreuses organisations internationales, dont les Nations Unies, la Commission europeenne et d'autres.

Source:Middle Eyes