Code électoral nouveau au Burkina Faso

Code électoral nouveau : « Une modification gênante », selon Dr Sékou Koureissy Condé, Directeur exécutif du cabinet African Crisis Group

 

Arrivé dans la capitale burkinabè au cours de la soirée du mercredi 15 avril 2015 après une visite de travail au siège sous régional des Nations-Unies à Dakar relativement aux élections dans des pays ouest-africains, notamment en Guinée, au Togo, au Burkina Faso, le Directeur exécutif du cabinet African Crisis Group, Dr Sékou Koureissy Condé nous a accordé un entretien. Evidemment, la question du code électoral voté le 7 avril dernier, a été au centre de cet entretien où le double docteur en droit et en sociologie politique, s’est voulu – comme à son habitude - dépassionné. Lisez plutôt !


Lefaso.net : Vous qui êtes Directeur exécutif d’un cabinet comme African Crisis Group très actif dans la gestion des crises en Afrique, comment se présente à ce jour, selon vous, la cartographie des crises politiques en Afrique et particulièrement en Afrique de l’ouest ?

Sékou Koureissy Condé : La crise est la manifestation extérieure du stade le plus élevé du conflit. La cartographie d’un conflit ou d’une crise est la présentation de son espace géographique. C’est une carte visant à évaluer les liens entre les conflits d’une part et leurs causes sous-jacentes d’autres. De ce point de vue, la sous-région ouest-africaine présente beaucoup d’indices de fragilité et de vulnérabilité. 
La bonne gouvernance est une source de cohésion et de stabilité ; et son contraire, c’est-à-dire la mal gouvernance porte évidemment des germes de conflit. Vous conviendrez qu’en Afrique de l’ouest le palme de la bonne gouvernance n’est pas attribuable pour le moment. Nous ne sommes pas bien gouvernés. Les frontières sont poreuses, le niveau de scolarité chez les jeunes est encore bas, le taux chômage et d’analphabétisme reste très élevé chez les jeunes, la démographie est galopante, les institutions étatiques n’ont aucun pouvoir de dissuasion politique, les présidents ont encore trop de pouvoirs ; toutes choses qui favorisent le clientélisme et la corruption. 
Nos systèmes de sécurité en Afrique de l’ouest ne sont pas performants, et il n’y a véritablement pas de connexion ou de partenariat efficient entre les services de sécurité des pays de la sous-région et entre les Etats de l’Afrique de l’ouest en termes de mécanismes de réconciliation. Il faut promouvoir une réflexion sereine et profonde sur chacune de ces questions et sur d’autres encore. 
La gouvernance des conflits en Afrique de l’ouest ne saurait se faire par les Etats individuellement pris. Il faut une mutualisation des connaissances, des mécanismes et des ressources socioculturelles. Cette gouvernance doit se faire à la base de la société et pas au sommet. 
En attendant, et en termes de cartographie, vous avez le nord Mali et la traditionnelle question Touareg , la Mauritanie avec les questions des droits de l’homme, la réconciliation en Côte d’Ivoire, l’ethnocentrisme en Guinée, Boko Haram au Nigeria, la Casamance au Sénégal, l’Etat pris en otage en Guinée Bissau, la question de l’alternance au Togo, l’influence de culture Vaudou dans une grande partie du Benin, les questions frontalières et institutionnelles au Niger, sans oublier la question de gouvernance par la force en Gambie, la problématique de la sécurité et de la réconciliation post-conflit en Sierra Léone ainsi qu’au Liberia. L’Etat-Nation en tant qu’édifice postcolonial tarde à porter sa propre marque. Bref, la sous-région ouest-africaine est très exposée. Il ne faudrait pas qu’en plus, le verrou burkinabè saute. Mais que peut-on attendre du cabinet African Crisis Group dans le sens de l’éradication, sinon de la réduction de cette sombre cartographie ? 
African Crisis Group est un cabinet-conseil et d’évaluation des risques. Nous faisons de la prévention analytique et de la médiation ; j’allais dire la facilitation. Nous sommes donc conscients et nous valorisons la joie de vivre africaine, les acquis sociaux culturels et l’immense capacité de résistance des sociétés africaines face à l’invasion des mœurs. 
Le cabinet African Crisis Group est une idée novatrice, indépendante par rapport aux gouvernements et aux organismes internationaux. Nous sommes une alliance intellectuelle panafricaine. Notre indépendance par rapport aux agendas internationaux nous permet d’avoir une longueur d’avance sur le terrain. 
Au Mali en 2012, nous étions dans les bureaux de la junte à Kati à 15 km de Bamako dès le 28 mars. En Guinée et au Burkina depuis 2011, au Niger depuis 2012, en Côte d’Ivoire en 2013, au Togo et au Sénégal depuis en 2014. Nous nous adressons au sommet de l’Etat et nous partageons les analyses et observations de la société civile ; je veux dire du citoyen lambda. Notre recette pour l’éradication des sources des conflits est la construction du dialogue et la restauration de la confiance et de la conscience africaine face à notre destin commun. Notre liberté en temps, en moyens et en initiatives, nous permet d’accéder facilement aux soucis des gens de la base au sommet de la société, et de proposer un regard d’expertise extérieure africaine dans un langage franc, direct et simple.

Le cabinet African Crisis Group avait prédit des remous au Burkina. Ces événements s’étant effectivement produits en fin octobre dernier, quels commentaires y faites-vous aujourd’hui ?

La révolution d’octobre au Burkina a laissé, me semble-t-il, au niveau des populations, un gout d’inachevé. Les organes de la Transition sont à la recherche de la meilleure manière de se saisir de toutes les propositions, de contenir toutes les revendications et suspicions ; et tout cela, d’ici au mois d’octobre 2015. Comme vous le savez, le temps est court ; il faut donc aller à l’essentiel, c’est-à-dire l’élection présidentielle. 
Chaque Transition est spéciale, unique dans une large mesure. La Transition d’équilibre au Burkina est plutôt sur le point de réussir ; mais la question de la modification du code électoral est un casse-tête qu’il convient de gérer avec pédagogie et sans passion. Car c’est une question de droit et de société, une question de sociologie politique, je dirais. 
Les questions liées à la justice sociale, à la justice des plus faibles et à la soif de justice dans la société, s’affichent en dénominateur commun aux Burkinabè. Les gens sont très sensibles à l’injustice ici. Donc, se battre ardemment contre toutes modifications des textes fondamentaux en octobre et improviser une modification au cas par cas en avril, soit sept mois après, n’est pas facile à comprendre. 
Les droits civiques sont inaliénables. La démocratie, c’est justement un mode de gestion des droits et des contradictions. L’Etat de droit a ses contraintes ; le délit d’opinion n’existe pas, c’est à dire qu’il n’est pas souhaitable qu’un citoyen ou des citoyens même dix personnes dans la République, se sentent exclus pour avoir eu une opinion pour ou contre quelque chose. Autrement dit, dans une démocratie inclusive et participative, comment expliquerez-vous l’exclusion ou la privation des droits du citoyen sans poursuite pénale ?

Mais dans le contexte burkinabè aujourd‘hui, il y a la force du sentiment populaire qu’il ne faut pas du tout minimiser. Comment donner raison en avril à ceux qui ont eu tort en octobre dernier ?

Nous sommes tout à fait conscients de la complexité de la question. Un vrai dilemme qui convoque toute la sagesse de la société et tous les mécanismes d’apaisement au Burkina, pour dire que c’est la transparence du scrutin et la crédibilité du vote qui doivent trancher en dernier ressort. En Afrique, la force reste à la sagesse, il faut éviter les discours et les comportements qui dérangent les victimes. Il faut initier rapidement des concertations spéciales en vue d’éteindre les menaces et gérer pacifiquement les divergences.

Voulez-vous dire que la révision du code électoral en prenant en compte les termes de l’article 25 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance est une erreur ?

Nous n’avons pas la même interprétation de cette Charte. C’est une question de jurisprudence. Mais encore une fois, African Crisis Group est une structure de facilitation ; et à ce titre, nous ne jugeons pas, nous constatons. 
Nous constatons que l’écrasante majorité, 87 membres du Conseil national de la Transition ont voté cette modification, trois abstentions et dix voix contre. C’est un acte politique majeur, mais une modification gênante, car elle intervient à mi-parcours. On n’est pas loin du but, et il faut éviter de tomber dans la prolongation. Aussi, je pense que la forme et le contenu des communications et des discours en sont pour quelque chose. La communication violente ouvre souvent des blessures et entraine des réactions de rejet.

L’adoption de ce code électoral révisé a suscité, comme vous le savez, beaucoup de controverses entre acteurs nationaux ; et la communauté internationale ne semble pas cautionner le dit code. Que peut-on présager en termes de relations entre les autorités de la Transition et les partenaires extérieurs du Burkina Faso ?

Je voudrais dire deux choses. Je considère, pour ma part, qu’il n’est pas normal qu’un organe de Transition modifie la Constitution, car le principe d’une transition c’est la rupture douce. Il s’agit de traduire un changement à travers l’élaboration d’une nouvelle Constitution et d’un code électoral. Même si la Charte en fait foi, il y a quand même le principe de l’opportunité. 
Je suis, moi-même ancien Secrétaire général de Conseil national de Transition en Guinée. Est-ce qu’un Conseil national de Transition a la légitimité d’exclure un citoyen de ses droits civiques ? Là est toute la question et tout le souci. Il faudra donc s’expliquer largement et calmement dessus. Nous voulons comprendre. C’est dur de dire tout cela aujourd’hui ; car manifestement, tout le monde ne le comprend pas de cette manière et pour des raisons évidentes. 
Mais, encore une fois, notre rôle est de montrer qu’aucune société africaine n’évolue à vase clos. Nous sommes liés, et un regard extérieur africain ou international d’apaisement est un signe d’amitié. Il faut qu’on se souvienne que cela avait été signalé. La communauté internationale peut aller à l’ encontre d’un gouvernement ou d’une institution, mais pas contre la volonté souveraine d’un peuple. 
Et c’est le suffrage universel qui est la forme la plus appropriée pour traduire cette volonté populaire. Surtout lorsque les choses se présentent comme si cette modification avait des noms et des prénoms. Notre intérêt à tous est de protéger nos peuples, l’Afrique est un continent d’avenir.
Il faut d’ores et déjà engager une campagne de sensibilisation citoyenne avant que la justice constitutionnelle ne se prononce sur cette modification, en expliquant l’intérêt et l’importance de la justice constitutionnelle et sa différence par rapport au rôle de la justice pénale. Ici et là, le juge constitutionnel devra apprécier en dernier ressort et selon son intime conviction.

Et pour conclure cet entretien ?

J’invite au dialogue raisonnable et constructif. En plus de ses réputations de pays des Hommes intègres et de la paix, le Burkina Faso est devenu depuis peu, un exemple et un symbole de l’alternance en Afrique. Il est actuellement question de préserver ces acquis. Le cabinet African Crisis Group restera toujours à vos côtés.


Entretien réalisé par Fulbert Paré
source: lefaso.net

lien: http://www.lefaso.net/spip.php?article64321