Au Tchad, les chefs religieux assument le rôle de médiateur entre syndicats et gouvernement pour résoudre la crise du pays

Manifestation d'élèves à N’Djamena, 2018

Une marche pacifique était organisée mardi 6 Février à N’Djamena, capitale du Tchad, pour protester contre les mesures d’austérité adoptées par le gouvernement. Les manifestants, rassemblés dès 7 heures du matin, ont rapidement été dispersés par des gaz lacrymogènes et, selon l’opposition, également par des tirs à balles réelles. D’après Djimet Clément Bagaou, porte-parole de la coalition de partis d’opposition à l’initiative de cette action, 50 manifestants ont été blessés par ces tirs de balles, et plus de 600 individus ont été arbitrairement arrêtés sur l’ensemble du territoire tchadien. Ce bilan est contesté par la police, qui dément avoir utilisé des balles réelles.

 

Cette manifestation, malgré son échec, traduit la croissante frustration des tchadiens face à la situation socio-économique de leur pays. Devenu très dépendant au pétrole à partir des années 2000, le Tchad a mal vécu la chute des cours de l’or noir en 2014. Alors que les revenus tirés du pétrole culminaient à 2 milliards de dollars en 2011, ils ne s’élevaient plus qu’à 200 millions en 2015 selon le FMI. Conjuguée à la détérioration de la situation sécuritaire, avec la présence du groupe Boko Haram dans la région du Lac Tchad, le pays s’est progressivement enfoncé dans la crise. La Banque Mondiale prévoit que le taux de pauvreté devrait atteindre 39,8% d’ici 2019. Le gouvernement est, en outre, sérieusement endetté auprès du courtier en matières premières anglo-suisse Glencore. Suite à un emprunt contracté en 2013 et 2014 de plus de deux milliards de dollar, le Tchad devait rembourser la société en lui permettant d’exporter pour son propre compte les barils tchadiens. La société n’a, toutefois, toujours pas été pleinement remboursée, et aspire donc toujours à son compte une partie considérable des revenus de l’État.

 

Les premières victimes des mesures d’austérité adoptées par le gouvernement sont les fonctionnaires. Estimés être 92 000 parmi une population de 15 millions d’habitant, ceux-ci avaient cessé de percevoir leur salaire pendant plusieurs mois consécutifs en 2016. Le gouvernement a par ailleurs coupé en Janvier de 50% leurs primes et indemnités, qui avaient déjà été réduites de 50% en 2016. La situation s’est également aggravée suite à la hausse des prix des carburants, et l’entrée en vigueur d’une réforme de l’impôt sur le revenu, prélevé à la source chaque mois.

 

Dans ce contexte de crise économique et social, le gouvernement interdit l’organisation de toute manifestation. Le Ministre de la Sécurité Ahmat Mahamat Bachi a ainsi répété lors d’une conférence de presse que toute manifestation était interdite, invoquant des raisons de sécurité dans un contexte de menace terroriste lié à Boko Haram. Les dix partis d’opposition tchadiens qui avaient soutenu l’appel à manifester ont, par conséquent, été suspendus pour une durée de deux mois, pour « trouble à l’ordre public » et « incitation à la violence ». Malgré ces mesures de rétorsion, une nouvelle marche était prévue le 8 Février, nommée « jeudi de la colère ». La mobilisation a cependant été faible.

 

Pour dénoncer la répression du gouvernement à l’encontre des manifestants, Amnesty International a produit un rapport d’une cinquantaine de page en Septembre 2017. Dans ce rapport, l’ONG déplore une dégradation notable des droits humains à partir de 2015, puis avec la réélection contestée d’Idriss Déby pour un cinquième mandat en Avril 2016. Les auteurs du rapport listent les principaux moyens utilisés par le pouvoir pour étouffer la contestation. Outre l’interdiction des manifestations, le gouvernement aurait recours à l’arrestation de leaders militants et leur traduction devant la justice, la restriction du droit de grève, la fermeture de l’accès à certains réseaux sociaux, et le refus d’accorder à certaines associations un statut juridique. Malgré le respect décroissant des droits humains, le régime d’Idriss Déby n’en est pas moins soutenu sur la scène internationale. Il demeure, en effet, un allié privilégié des pays occidentaux, qui voient en lui un atout clef dans leur lutte anti-terroriste dans la bande sahélo-saharienne. Le Tchad est le principal allié militaire de la France dans la région, le quartier général de l’opération Barkhane étant installé dans sa capitale.

 

Pour trouver une solution pacifique à la crise dans laquelle le pays s’enlise, les chefs religieux de la Plateforme interconfessionnelle du Tchad se disent prêts à assumer le rôle de médiateur. Ils mènent ainsi, depuis jeudi 8 Février, une médiation entre les syndicats et le gouvernement, dans l’optique de mettre un terme à la grève générale lancée le 30 Janvier qui paralyse le pays. Monseigneur Edmond Djitangar, l’archevêque de N’Djamena, de dire à propos de cette crise : « Un dialogue sincère et constructif s’impose. Il me semble qu’il y a une réelle crise de confiance entre les partis en présence, il faut donc recréer les conditions du dialogue en partant d’une base commune : la recherche de l’intérêt supérieur de la nation et la préservation des vies humaines et du bien commun. » Le jour même de la rencontre des chefs religieux avec le Premier ministre Pahimi Padacké Albert, le Ministre des Finances a promis que le Tchad ne connaîtra pas de nouvelles mesures d’austérité.