Les débats sont lancés pour le passage à une Vème République au Burkina Faso. Des délégations du Conseil National de Transition (CNT), accompagnées d’éminents constitutionnalistes et politologues sillonnent les treize (13) régions du pays. Elles doivent évaluer les forces et les faiblesses de la constitution du 11 juin 1991, et expliquer aux populations et aux forces vives, la nécessité de passer de la IVèmeà la VèmeRépublique.
« Il faut absolument qu’il y ait un changement de Constitution et que le texte soit soumis à référendum », C’est en ces termes que Michel Kafando s’exprimait le 07 Juin dernier lors de sa visite officielle en France. Comme le président de la transition, la majeure partie de la classe politique burkinabé partage ce point de vue. Ces acteurs politiques estiment presque de façon unanime que la constitution de la IVème était taillée sur mesure . Il serait donc indispensable aujourd’hui pour le Burkina Faso de se doter d’une constitution qui limite les pouvoirs du chef de l’État.
Les raisons pour passer à la Vème République, sont multiples et justifiées. En effet, il ressort des différentes analyses que la constitution de la IVème république était muette sur les problèmes fondamentaux des populations comme l’éducation, l’emploi des jeunes, le chômage… Elle est en déphasage avec les instruments internationaux et conférait beaucoup de pouvoir au chef de l’Etat.
Aussi, pour que le sacrifice du peuple burkinabè les 30 et 31 octobre ne soit pas être vain, Moumina SY,le président du CNT affirmait sans ambages que : « Je n’ai jamais vu une insurrection populaire, un soulèvement populaire qui remet en cause l’ordre établi et qui n’a pas accouché d’un nouvel ordre constitutionnel. Si nous prenons le cas du Burkina, les gens ont remis en cause la gouvernance, en partant d’un article d’une constitution?; ce qui a amené le garant de la dite constitution à fuir. Il n’y a pas de raison que, ce dernier ayant pris la fuite en abandonnant «?sa Constitution?», nous, nous la conservions?».
Il faut donc passer à une Vème république afin de réinventer des mécanismes citoyens de contrôle constitutionnel ; séparer les pouvoirs ; supprimer le Conseil Economique et Social qui n’est qu’un organe consultatif et budgétivore ; constitutionnaliser la Commission Electorale Nationale Indépendante, la chefferie traditionnelle ; réorganiser les organisations de la société civile afin qu’elles ne soient pas une autre forme de parti politique etc.…. S’exprimant sur le sujet, le président Kafando estime « qu’ Il faut arriver à une Constitution qui tempère le pouvoir léonin du chef de l’État. C’est la seule façon, avec un équilibre du pouvoir, de contenir des ambitions exagérées ou des aventures comme celles que nous avons connues ».
Les propos du Président du Faso sont partagés et soutenus par le président du CNT: «? Si vous reprenez l’historique de cette Constitution du 2 juin 1991, elle a été élaborée seulement pour un régime présidentialiste fort, mais aussi personnifiée, taillée à la mesure d’un homme. J’ai bien peur qu’en voulant se contenter de la réviser par-ci et par-là, on en arrive à un texte fade, qui ne prenne pas en compte l’aspiration au mieux-être de notre peuple et à une meilleure gouvernance. Comme vous le savez, il n’y a pas que l’article 37 de la Constitution qui pose problème, il y en a beaucoup d’autres. Je pense qu’objectivement, le débat devrait être posé publiquement, pour qu’on sache exactement ce qu’on fait». Déclare Moumina Sy.
Si le passage à la Vème République est accepté de tous, la classe politique et les dirigeants de la transition ne partagent pas l’opportunité de ce passage. Les constitutionnalistes trouvent que la période de la transition est la mieux indiquée pour passer à une nouvelle constitution. D’abord parce qu’elle obeit à des étapes : Il faut proposer le texte, le délibérer et ensuite le soumettre à un referendum. C’est donc en période de neutralité que le pays pourrait se doter d’une constitution à même de prendre en compte les aspirations profondes de toutes les couches socioprofessionnelles. Il ne faut pas laisser le choix à un pouvoir partisan de rédiger une nouvelle constitution au risque de retomber dans les problèmes suscités par la constitution du 11 juin 1991.Or, cette sorte d’assemblée constituante peut se composer à partir du CNT ou de la commission nationale de réconciliation pour réfléchir sur la rédaction de la constitution « autour de laquelle l’on dégagera un consensus national, quitte au pouvoir qui viendra de la faire adopter sans pour autant ajouter ou enlever une seule virgule ».
C’est du reste ce qu’affirme Michel Kafando lorsqu’il dit qu’il va encourager le futur gouvernement à organiser un referendum pour passer à la Vème République.
Mais pour le président du CNT, il faut que ce passage soit fait pendant la transition afin d’éviter des dérives comme l’a connu le Sénégal avec Wade et le Burundi avec Pierre NKURUNZIZA. Il soutient : « Je pense qu’il faut faire attention à ne pas remettre à plus tard ce qu’on peut faire maintenant?». Le président du CNT poursuit sa réflexion en disant qu’?: «?à partir du moment où on reconnaît que cette Constitution n’est pas bonne parce que taillée à la mesure d’un homme, cela signifie que si on installe une autre personne au pouvoir avec cette même Constitution, on a tous les risques et toutes tentations possibles que cette dernière ne change jamais les choses et que du fait des pouvoirs illimités que lui confère cette Constitution, le nouveau venu ressemble fort à la personne que nous avons chassée. En outre, il n’est pas exclu qu’une fois installée, cette personne décide de ne plus parler de Constitution. C’est exactement le cas du président burundais, Pierre NKURUNZIZA. Ce fut également le cas du président Abdoulaye WADE du Sénégal. Dès qu’ils se sont installés, ils ont refusé de toucher à la clause limitative des mandats présidentiels. Je suis donc de ceux qui pensent qu’il faut non seulement poser le débat maintenant, mais aussi avoir le courage, à l’issue de ce débat, de passer à la VèmeRépublique. Pour moi, ce n’est que ce passage qui va consacrer la rupture».
Du côté de la classe politique, les avis sont aussi partagés sur la période du passage à la VèmeRépublique. Pour le candidat à la présidentielle de la convention des partis sankaristes, Me Bénéwendé SANKARA: «?On aurait dû en faire une priorité dès le départ. Les élections à venir pouvaient prévoir la place pour qu’on puisse effectivement aussi apprécier s’il fallait, oui ou non, une cinquième République?».
Cependant, Eddie Komboïgo le président du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP), l’ex-parti au pouvoir, souligne que son parti est d’avis qu’il faut passer à une Vème République et que cela doit se faire avec les nouvelles autorités issues des élections du 11 octobre 2015 pour l’intérêt supérieur de la nation burkinabè.
Pour la majeure partier des Burkinabe, le passage à une Vème république semble être un impératif selon la classe politique et les observateurs avisés de la scène politique burkinabè. Car, la valeur d’une constitution réside dans les valeurs que celle-ci véhicule qui, sont entre autres d’ordre philosophique, social, économique et qui prônent l’intérêt supérieur du peuple burkinabè.
ACG.