Assassiné dans la nuit du 6 février dernier en haute banlieue de Conakry, le coordinateur du fonds de consolidation de la paix des Nations Unies en Guinée, Thierno Aliou Diaouné a regagné sa dernière demeure ce lundi 9 février 2015 au cimetière de Kobayah, dans la commue de Ratoma. L'émotion était à son comble sur fond de témoignages forts. L’ancien ministre de la sécurité Sékou Koureissy Condé, directeur exécutif d’african Crisis group, livre sa part de vérité.
La Guinée est sous le choc de l’assassinat de Thierno Aliou Diaouné. Que dites-vous suite à ce crime ?
C’est une profonde douleur. Je ressens de la tristesse réelle et une compassion pour la famille, les enfants, l’épouse, les proches, les amis et compagnons du ministre Diaouné. J’ai connu personnellement le ministre Diaouné. Je l’ai pratiqué. Il m’a fréquenté. Et aujourd’hui, il ne me parlera plus. C’est un des acteurs de la vie publique du pays qui s’en va et c’est le lieu de présenter mes sincères condoléances à sa famille et à l’ensemble du pays.
Qu’est-ce que vous retenez de l’homme ?
Thierno Aliou Diaouné était mon jeune frère et mon ami. Il ne m’appelait autrement que grand frère Koureissy. Je lui dois cette humilité, cette courtoisie qu’il partage avec beaucoup d’autres qui me sont très proches. Le ministre Diaouné était un homme de conviction. C’était un acteur clé de la société civile guinéenne. Depuis la première transition en 2007 et pendant la phase préparatoire de la mise en place du forum des forces vives, il fut parmi les acteurs majeurs. Il y en a d’autres. Et récemment, en tant que haut fonctionnaire des nations unies et en même temps acteur de la société civile, Diaouné ne s’est jamais départi de cette envie de s’investir davantage et d’être utile si cela était possible.
La dernière fois que j’ai parlé avec lui, c’était au mois de septembre en France il était déjà inquiet. Et il me l’a dit. Il a dit grand frère, je répète ce qu’il a dit : « Ce n’est pas facile de travailler dans notre pays » Il dit « Je me sens menacé. Je me sens de plus en plus menacé. Je suis sous pression ». Et il ajoute, même vous devez faire attention. Je dis pourquoi moi ? Il dit parce qu’on n’aime pas les gens qui disent la vérité dans ce pays. On n’aime pas les gens qui défendent la vérité chez nous. Je lui ai dit ceci : Chacun de nous a un destin. C’est la dernière conversation que j’ai eu avec mon frère Diaouné. Ce que je retiens de lui en plus de ça, c’est la compétence de l’homme, la vivacité de l’homme et sa soif de servir.
Lorsqu’on éteint un parcours comme ça, on porte préjudice à toute une nation parce qu’il perd un de ses éléments. C’est comme une équipe qui perd une de ses meilleurs joueurs. C’est le lieu pour moi de dire que la paix et la cohésion sociale que nous souhaitons de tour notre cœur doit être une réalité. La solidarité doit être une réalité. Ceux qui pensent que la meilleure manière de s’enrichir, la meilleure manière de gagner, d’avoir plus de pouvoir c’est de s’attaquer à l’autre, à son intégrité physique, à son nom, à ses proches se trompent. L’histoire ne se fait pas dans la violence. L’histoire se fait dans la construction du dialogue et dans la paix.
L’assassinat de M. Diaouné soulève le débat sur l’insécurité…
Je voudrais encore présenter mes condoléances. Que l’âme de mon ami, mon frère repose en paix. Il sera mis sous la terre aujourd’hui (lundi 09 février, NDLR). Quand tout le monde tournera le dos, paraît-il, il appartiendra au ciel. Couché, Thierno Aliou Diaouné soulève des questions qui sont arrêtés. L’assassinat de Thierno Aliou Diaouné met fin au doute et à l’incertitude quant à la capacité du gouvernement d’Alpha Condé, de l’Etat guinéen à venir à bout de l’insécurité et à installer la paix et la quiétude sociale. L’assassinat de Thierno Aliou Diaouné montre que l’Etat a atteint la limite de ses capacités, pas de ses moyens. Il y a une déstructuration de l’Etat dans son fonctionnement sur le terrain de la sécurité des biens et des personnes.
Il est important que le gouvernement sache que si on devait voter aujourd’hui, si le problème de sécurité devait être le lieu de vote, je ne voterai pas pour cet État, pour ce président, pour ce gouvernement. Je ne parle pas des autres domaines de la vie de la nation. Dans le domaine de la sécurité, il y a un échec patent. Je le dis d’autant plus que cette question me préoccupe à plus d’un titre. J’ai consacré toute ma vie aux questions de paix et de sécurité. Il faut organiser impérativement les états généraux de la paix et de la sécurité en Guinée dans le même alignement que le sommet de la paix et de la sécurité en France en 2013 ; dans le même alignement que le forum de la paix et de la sécurité à Dakar en 2014.
Il faut organiser en Guinée les états généraux de la paix et de la sécurité en y associant toutes les couches socio-professionnelles pour récolter les suggestions, renforcer les équipes techniques et les structures chargées de maintenir la paix et la quiétude sociale dans notre pays. Il y a une menace réelle. La Guinée est aujourd’hui le seul pays de la sous-région où il ya des assassinats ciblés, réglés et classés sans suite. Et on rebelote. Je me pose la question en commençant par le dernier citoyen, quel est le Guinéen qui se sent en sécurité aujourd’hui ? Si on me dit qu’il y a un Guinéen qui se sent en sécurité, on va déménager auprès de lui.
Faire un constat n’est pas une prise de position politique parce qu’il est temps de le corriger ensemble. Le problème de la sécurité n’est pas une affaire de ministre ou de ministère. C’est une affaire de citoyenneté.
Propos recueillis par Monique Curtis
source médiaguinée.