Six clés pour comprendre le conflit en République Centrafricaine

Six clés pour comprendre le conflit en République Centrafricaine

Des hommes de la communauté musulmane de Boali, armés d'arcs et de flèches se sont réunis devant la mosquée Oul Houda afin d'empêcher les agressions de la communauté chrétienne Crédits : MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU POUR "LE MONDE" AFRICAN CRISIS GROUP Dr KOUREISSY CONDE

Après le Mali, où les troupes françaises sont toujours déployées, Paris a envoyé des soldats en République centrafricaine (RCA) lors de l'opération « Sangaris », en appui de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca).

Le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté, jeudi 5 décembre, une résolution française ouvrant la voie à une opération de maintien de la paix, après de violents affrontements qui ont fait au moins 140 morts dans la capitale du pays, Bangui. Ces événements s'ajoutent aux tueries de la nuit du lundi 2 décembre près de Bangui où au moins 12 civils, des éleveurs peuls musulmans, ont été tués à la machette par des milices « antibalaka » opposées à l'ex-rébellion de la Séléka au pouvoir depuis le mois de mars.

1. Des coups d'Etat à répétition

La France, qui dispose sur place d'un contingent de 410 hommes depuis 2002, est déjà intervenue à plusieurs reprises en RCA depuis l'indépendance, en 1960, de ce pays profondément instable et en proie à des coups d'Etat et des guérillas récurrents. Le dernier épisode en date est le renversement, en mars, du président François Bozizé par les rebelles de la Séléka. M. Bozizé avait lui-même accédé au pouvoir par un coup d'Etat, en 2003. Mais il n'a jamais été capable d'étendre son autorité sur le nord du pays, une région reculée et historiquement hors du contrôle du pouvoir central.

L'autorité de François Bozizé a commencé à vaciller après sa réélection contestée, en 2011, à la présidence. Fin 2012, plusieurs mouvements de rébellion du Nord se sont unis pour former la Séléka – « alliance » en sango, langue officielle avec le français. Malgré la signature d'un accord de paix en janvier, la Séléka s'empare de Bangui et renverse M. Bozizé en mars. Michel Djotodia s'autoproclame président pour une période de transition de trois ans.

2. Comment le chaos s'est installé

Très vite, et malgré le soutien du Tchad et du Congo-Brazzaville, le nouvel homme fort de la Centrafrique se révèle à son tour incapable de tenir les rênes du pouvoir. La Séléka, une coalition de groupes très hétérogènes appuyés par des mercenaires étrangers, des brigands et des coupeurs de route, éclate. Elle sera officiellement dissoute à la mi-septembre. En l'absence d'un commandement unifié et fort, les exactions contre les populations civiles se multiplient.

Les organisations non gouvernementales dénoncent des pillages et des atteintes au droit de l'homme. « Les bandes armées se livrent à des razzias et des massacres. Des villages sont brûlés, pillés. Les habitants sont tués ou sont en fuite dans la brousse », explique à l'AFP Jean-Marie Fardeau, de l'organisation Human Rights Watch, avant de mettre en garde : « On peut parler d'une stratégie criminelle de ces groupes, mais il n'y a pas de coordination entre eux, pas de planification. » Et il est pour l'instant impossible de connaître le nombre de morts qu'a engendrés ce conflit.

3. Les prémices d'un conflit religieux

En plus de ces exactions, un conflit à teneur confessionnelle se profile. Le département d'Etat américain évoque même une situation « prégénocidaire », terme qui ne fait pas consensus chez les observateurs. Les membres de la Séléka sont essentiellement de confession musulmane, pratiquants ou non, alors que la population centrafricaine est composée à 80 % de chrétiens. Le conflit a cristallisé les sentiments d'appartenance religieux et, après les pillages de la Séléka, des groupes d'autodéfense chrétiens – les antibalaka, « anti-machette » en sango –, qui avait déjà été formés ponctuellement par l'ancien dirigeant Bozizé, se sont regroupés en septembre. Ils s'en sont pris aux populations musulmanes, assimilées aux anciens rebelles.

Dès lors, les clivages religieux sont devenus saillants et ont alimenté un cycle de ripostes. « On assiste à des représailles ciblées à la fois contre des villages chrétiens et musulmans, et les civils en sont les premières victimes », analyse le responsable de Human Rights Watch. Même s'il existe de longue date des conflits traditionnels, d’ordre tant économique que religieux, entre éleveurs nomades musulmans et paysans sédentaires chrétiens, cette situation est inédite dans un pays où les populations vivaient mélangées dans les mêmes quartiers et les mêmes villages.

4. Une situation humanitaire alarmante

Au Point kilométrique 60 (PK 60), une femme de confession chrétienne montre son enfant après avoir fui les violences entre communauté chrétienne et musulmane dans la région de Boali. Crédits : MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU POUR "LE MONDE" AFRICAN CRISIS GROUP Dr KOUREISSY CONDE

 Selon l'ONU, sans « action rapide et décisive », la crise risque d'« échapper à tout contrôle ». Les troubles politiques et sécuritaires ont entraîné une crise humanitaire : sur les 4,6 millions d'habitants de la RCA, 2,3 millions sont en « situation d'assistance humanitaire ». Le bureau onusien de la coordination des affaires humanitaires, l'OCHA, dénombre 400 000 déplacés internes et 68 000 réfugiés centrafricains dans les pays voisins, principalement en République démocratique du Congo. Quelque 1,1 million de personnes sont également touchées par l'insécurité alimentaire.

5. La mission de l'armée française

Deux militaires français sur le chantier de la future base, qui accueillera le matériel destin?é à l'opé?ration "Sangaris", en République centrafricaine, le 4 décembre. | MICHAEL ZUMSTEIN/AGENCE VU POUR "LE MONDE" AFRICAN CRISIS GROUP Dr KOUREISSY CONDE

L’intervention française devrait commencer « dans les jours qui viennent » a déclaré jeudi 5 décembre le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, le jour où l’aval de l’ONU pour la dite opération est attendu. Rapide et efficace, ce sont les mots d’ordre implicite de la mission « Sangaris » qui verra se déployer en RCA « 1200 » soldats français selon Laurent Fabius. Les grandes lignes de la mission ont été données par les responsables français. « Ce que nous devons faire, c'est trouver une solution humanitaire qui passera par une phase sécuritaire, qui débouchera ensuite sur une transition politique dont on sait qu'elle n'est pas facile dans ce pays depuis, hélas, trop d'années », a déclaré M. Hollande.

Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a quant à lui évoqué une intervention qui « n'a rien à voir avec le Mali ». L'objectif ne serait pas de mettre hors d'état de nuire tel ou tel groupe armé, mais plutôt d'endosser un rôle de gendarme. «Là, c'est l'effondrement d'un Etat et une tendance à l'affrontement confessionnel. (…) Il s'agit d'arrêter la catastrophe en République centrafricaine et de reconstruire un pays qui n'existe plus», a-t-il expliqué. Une mission ambitieuse, donc, qui s'annonce difficile à remplir dans « la période brève, de l'ordre de six mois à peu près », qu'a définie le ministre.

Sur le terrain, la mission militaire française devrait se concentrer sur la sécurité des principaux axes routiers et des grandes agglomérations. Le contingent français, qui compte déjà plus de 600 hommes sur place, sera chargé notamment de sécuriser l'aéroport de Bangui et les routes par où transiteront les convois humanitaires. « Dès que le président de la République aura donné le top, les choses vont aller très vite », a souligné Laurent Fabius. Les bases françaises permanentes du Gabon et du Tchad sont susceptibles d’être mobilisées pour alimenter la mission « Sangaris » en Centrafrique alors qu’un détachement de 350 militaires de l’armée de terre a débarqué dans le port de Douala au Cameroun lundi 2 décembre, près à s’enfoncer dans les terres pour rejoindre Bangui.

6. Un mandat de l'ONU

Sans l'aval des Nations unies, la France aurait du mal à légitimer une nouvelle opération dans son ancienne colonie, mais le vote, jeudi 5 décembre d'une résolution au Conseil de sécurité lui permet d’appuyer les troupes de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique, la Misca.

C'est sous l'impulsion de Paris que les quinze pays membres du Conseil de sécurité de l'ONU ont décidé d'agir. La résolution est placée sous le chapitre VII de la Charte de l'ONU, qui prévoit le recours à la force. Elle autorise la Misca à se déployer avec comme objectif le rétablissement de la sécurité et la protection des civils. Celle-ci remplacerait ainsi la Force multinationale d'Afrique centrale (Fomac), engagée par les pays de la région.

Officiellement, les militaires français devraient appuyer la Misca, qui manque de financements et peine à se former. Cette Mission internationale doit compter, à terme, 3 600 hommes mais elle n’en rassemble pour l'instant que 2 500, mal équipés et mal entraînés. Selon la résolution, sa montée en puissance sera financée par un fonds géré par l'ONU et alimenté par des contributions volontaires des Etats.

« Une transformation éventuelle de la Misca en opération de maintien de la paix de l'ONU » est également prévue par la résolution en cas de nécessité. Suivant un schéma déjà appliqué pour le Mali, cette transformation demanderait une nouvelle décision du Conseil de sécurité. Mais certains de ses membres, à l’instar des Etats-Unis, rechignent, notamment pour des raisons de financement, à lancer d'emblée les forces onusiennes dans une nouvelle opération complexe et dangereuse en Afrique, quelques mois seulement après le déploiement de 6 000 casques bleus au Mali.

Thomas Loubière


Lien presse:

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/12/05/republique-centrafricaine-le-conflit-en-six-points_3526169_3212.html