Le terrible attentat de Mogadiscio.
L'attentat au camion piégé samedi à Mogadiscio, le plus meurtrier de l'histoire de la Somalie avec au moins 276 morts, soulève encore de nombreuses questions, au premier rang desquelles: Pourquoi n'est-il pas revendiqué ? Le camion a-t-il explosé à l'endroit prévu ?
- Quelle cible ?
Le camion a explosé au carrefour K5 dans un quartier commerçant de la capitale somalienne, sans qu'aucune cible évidente ne se dessine, conduisant plusieurs spécialistes de la Somalie interrogés par l'AFP à se demander si l'attentat de samedi ne devait pas suivre un autre scénario.
Pour Matt Bryden, fondateur du centre de réflexion Sahan installé à Nairobi, la cible "n'est pas certaine".
Une source sécuritaire régionale a également fait part de ses interrogations, évoquant une opération qui ne se serait pas déroulée comme prévu.
Selon ce spécialiste de la Somalie, l'opération consistait peut-être à utiliser un premier véhicule piégé - qui a explosé samedi deux heures après l'attentat principal - afin de permettre au camion de s'approcher le plus possible ou de pénétrer dans l'enceinte de la cible principale.
Ces deux sources ont également mentionné l'explosion d'un camion citerne provoquée par celle du camion piégé. Ce qui expliquerait le nombre élevé de victimes calcinées. L'AFP n'a pas pu confirmer la présence de ce camion-citerne mais celle, habituelle à ce carrefour, de petits vendeurs d'essence.
Si un camion-citerne a bien explosé samedi, il s'agira selon M. Bryden de déterminer s'il était "prépositionné ou si c'était juste une coïncidence".
- Quelle charge explosive ?
La source sécuritaire mentionne une fourchette comprise entre 500 kilos au bas mot et jusqu'à deux tonnes, soit pour la fourchette haute la même quantité que celle utilisée par Al-Qaïda pour son attentat contre l'ambassade des Etats-Unis à Nairobi en 1998 (213 morts).
Matt Bryden relève que lors de précédents attentats à Mogadiscio, la charge explosive avait été estimée entre 800 et 1.000 kilos, mais que les dégâts étaient alors bien moindres. Le souffle de l'explosion de samedi a brisé des vitres à près d'un kilomètre à la ronde.
- Des failles sécuritaires ?
"Il ne fait aucun doute que ce qui s'est passé est en parti dû à un échec des forces de sécurité à identifier et déjouer l'attaque. C'est très certainement aussi un échec au niveau des points d'accès" à la capitale, explique M. Bryden.
Mais, souligne-t-il, les shebab ont déjà montré leur capacité à se déjouer des nombreux check-points qui quadrillent la capitale.
"Ils ont été capables (par le passé) d'infiltrer les forces de sécurité ou de se mouvoir avec des uniformes des forces de sécurité", relève le directeur de Sahan, qui décrit une opération plutôt "complexe et vraisemblablement de longue haleine".
- Pourquoi pas de revendication ?
Pour les deux spécialistes, il ne fait guère de doute que les shebab sont derrière cette attaque, chacun soulignant qu'ils ont seuls la capacité de monter une opération d'une telle envergure.
Et de rappeler que les shebab se sont déjà gardés dans le passé de revendiquer des attaques qui avaient suscité une vive réprobation de la population.
Ce fut le cas en 2009 pour un attentat contre un hôtel qui abritait une cérémonie de remise de diplômes d'étudiants en médecine (23 morts).
- L'attentat change-t-il la donne ?
Il a provoqué l'indignation de la population de Mogadiscio, qui est descendue dans la rue par centaines dimanche pour crier sa colère. Mais comme le note Matt Bryden, la colère peut aussi se tourner vers le gouvernement, pour ne pas avoir réussi à prévenir le drame.
Plus généralement, explique-t-il, la situation sur le terrain militaire est "stagnante".
"Aucun camp ne peut dire qu'il gagne. Les shebab ont perdu d'importants leaders dans des raids et frappes aériennes l'année dernière, mais ils sont très bons pour se renouveler et cette opération démontre qu'ils gardent la capacité de planifier et mener des attaques de grande ampleur".
"Ils ne perdent pas de territoire en ce moment. Il y a très peu de mouvement sur le terrain. Ce que l'on voit, en surface tout au moins, c'est de la stagnation", ajoute-t-il.
Quelques jours à peine avant cet attentat, le chef de l'armée et le ministre de la Défense du pays ont tous deux démissionné, sans fournir aucune explication.
Quant à la force de l'Union africaine (Amisom) et ses 22.000 hommes déployés dans le pays, elle sécurise essentiellement les grands centres urbains et permet ainsi le développement des institutions fédérales somaliennes.
Difficile selon M. Bryden d'en demander beaucoup plus à l'Amisom, son rôle étant déjà "crucial".
L'analyste ajoute que seul un méticuleux travail d'enquête et de partage des informations sur les attentats des shebab permettra à terme de remonter la piste des unités chargées de confectionner les explosifs et de perturber leur travail.