En ce jour 29 janvier 2015, les représentants de quatre-vingt-treize (93) organisations de la société civile du Burkina Faso se sont rencontrés dans le cadre d’une journée de réflexion sur la transition en cours au Burkina Faso. Rencontre initiée par le cabinet African Crisis Group sous le thème :
« Rôle de veille et de support de la société civile dans la conduite et la réussite de la transition démocratique au Burkina Faso ».
En effet, héritant d’une longue tradition de lutte pour l’édification et la consolidation de la démocratie débutée depuis le combat pour la reconstitution de la Haute Volta en 1947 ;
Fortes de nos acquis démocratiques depuis le soulèvement populaire du 3 janvier 1966 jusqu’au début de la révolution de 1983 ;
Renaissant de nos cendres depuis le début de la quatrième République ;
Redynamisées dans notre lutte pour la démocratie, le respect des droits de l’Homme, la justice sociale et le développement de notre patrie depuis les évènements du premier semestre de 2011 ;
Fières de notre participation déterminante et de notre victoire lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 ;
Après avoir participé à l’élaboration de la Charte de la transition en considération de notre attachement aux valeurs et principes démocratiques tels qu’inscrits dans la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 de l’Union africaine et dans le Protocole A/SP1/12/01 du 21 décembre 2001 de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) sur la démocratie et la bonne gouvernance ;
Inquiètes de la destructuration et des discordes grandissantes entre les organisations de la société civile depuis le début de la transition démocratique ;
Désireuses de voir les organisations de la société civile contribuer au bon ancrage de la démocratie et au développement durable de la nation dans le respect des valeurs de référence de la transition que sont le pardon et la réconciliation, l’inclusion, le sens de la responsabilité, la tolérance et le dialogue, la probité, la dignité, la discipline et le civisme, la solidarité, la fraternité et l’esprit de discernement ;
Rappelons à toutes nos organisations sœurs et à nous - même que notre mission première réside dans la veille, le contrôle, l’interpellation du pouvoir politique, le renforcement des capacités et l’éducation de la population.
C’est alors que dans une convergence de forces et de vues, nous nous sommes penché sur les thèmes suivants : « Droits de l’Homme et processus démocratique au Burkina Faso », « Transition démocratique au Burkina Faso : vision et synergie d’actions des OSC » et « Genre et jeunesse dans l’accompagnement de la transition », et produisons le présent rapport dont le présent préambule en est une partie intégrante.
Appelée à jouer sa partition dans la conduite de la transition, la société civile burkinabé a montré des signes de fébrilité à plusieurs niveaux : elle s’est entredéchirée pour la désignation de ses représentants aux organes de la transition et sa contribution à la gestion de cette transition se fait sans concertation et sans cohésion d’ensemble.
Aussi, dans le but de crédibiliser et d’optimiser la contribution de la société civile de notre pays à la gestion de cette transition, il importe que celle-ci se concerte pour s’imposer une feuille de route à ce sujet et se fixer des missions claires, objectivement applicables et qui soient à sa portée. Ces missions sont entre autres :
- jouer un rôle de veille et d’interpellation citoyenne des autorités de la transition pour une conduite éclairée et vertueuse de cette transition ;
- plaider auprès des autorités de la transition pour la réalisation des réformes appropriées qui sont attendues par le peuple afin d’éclaircir au mieux, le champ politique burkinabè notamment la loi fondamentale de notre pays ;
- contribuer à la sensibilisation et à la mobilisation des potentiels électeurs non-inscrits sur les listes électorales, pour leur enrôlement massif ;
- plaider et contribuer activement à l’organisation d’élections libres et transparentes au Burkina Faso et à la gestion du contentieux électoral selon la loi électorale afin de réduire les risques de conflits postélectoraux ;
- œuvrer au strict respect des dispositions de la constitution et de la Charte de la transition par l’ensemble des acteurs et mettre l’accent sur l’imputabilité et la redevabilité des dirigeants de cette transition ;
- planifier et réaliser un vaste programme de formation politique et citoyenne en vue d’outiller les jeunes et les populations pour mener des plaidoyers ou des revendications citoyennes à l’endroit des autorités de notre pays.
Les organisations de la société civile, une fois la transition démocratique achevée, ont deux types de missions à poursuivre.
Les premiers s’inscrivent dans la suite des actions et activités ponctuelles menées pendant la transition afin de consolider les acquis. (Voir le point précédent).
La deuxième catégorie de mesures porte sur des aspects s’inscrivant dans le long terme. Elle vise principalement les trois points suivants :
- la formation politique et citoyenne ;
- l’interpellation du pouvoir politique ;
- l’impulsion de réformes structurelles en matière de droits de l’Homme, de démocratie et d’éducation.
Plus concrètement les organisations de la société civile devraient envisager les mesures suivantes :
- procéder à une clarification identitaire : impulser la consécration normative de la notion d’organisation de la société civile, et définir son contenu, ses contours et ses incompatibilités ;
- préciser les relations entre société civile et forces politiques partisanes et en préciser les limites ;
- impulser une relecture profonde de la loi sur la liberté d’association et résoudre la question du régime juridique spécifique des associations et organisations non gouvernementales ;
- s’abstenir d’exercer des mandats politiques afin de garder la neutralité et pouvoir assurer sa mission de contrôle ;
- promouvoir une nouvelle culture éthique dans leurs actions et activités ;
- lutter pour une véritable inclusion et promotion du genre et de la jeunesse ;
- informer et sensibiliser sur les droits de l’homme : lutter pour leur inclusion dans les différents programmes d’enseignement ;
- promouvoir une vision holistique et transversale des droits de l’homme tout en prenant en compte les spécificités sociales et culturelles qui nous sont propres.
Historiquement, le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) est un corps d’élite chargée de la sécurité du président de la République. Ce régiment a été créé par DECRET N° 95-4821 /PRES/DEF du 21 novembre 1995 portant création d'un Corps Spécial dénommé «Régiment de Sécurité Présidentielle» au sein des Forces Armées. L’article 1 de ce décret dispose que : « Pour compter du 31 octobre 1995, il est créé au sein des Forces Armées, un Corps Spécial dénommé «Régiment de Sécurité Présidentielle » (RSP) basé à Ouagadougou ».
La sécurité présidentielle n’a pas toujours été assurée par un corps d’élite. La sécurité présidentielle a été assurée par les militaires issus de ce Centre ainsi que des professionnels de la sécurité rapprochée. Ces militaires étaient basés au « Conseil » avec à leur tête un chef de corps (Gilbert DIENDIERE). C’est en 1995 qu’est créé le RSP, chargé exclusivement de la sécurité présidentielle, dont les missions essentielles se résument à assurer la sécurité du président de la République, des institutions gouvernementales, la sécurité des chefs d’Etat et personnalités invités ainsi que leurs biens.
Les cent premiers jours de la transition ont été émaillés de fortes turbulences dont l’un des faits marquants fut l’interruption ou l’impossibilité de tenir un Conseil des Ministres en raison de revendications corporatistes de ce groupe d’élite.
La société civile a, à l’occasion de cette journée de réflexion, expressément affirmé que le défaut d’encadrement et de contrôle des agissements du Régiment de sécurité présidentielle pouvaient porter un frein à la transition en cours et/ou en laissant en suspension l’exigence de stabilité des institutions démocratiques à mettre en place à l’occasion des échéances démocratiques d’octobre 2015.
De plus, le fait que la Charte de la transition n’ait pas tranché expressément la question de la place de ce corps laisse un vide quant à la place de cette fraction de l’armée. En effet, cette fraction spéciale est vivement contestée par le reste de l’armée et la population.
La Charte de la transition n'ayant pas résolu le problème de la réforme de l'armée et plus précisément du RSP, il est plus qu'impératif pour le gouvernement d'envisager la question tout en y impliquant l'ensemble des acteurs concernés.
Pour leur part, les acteurs de la société civile ont tenu à préciser les positions suivantes :
- le Régiment de la sécurité présidentielle doit s’inscrire impérativement dans le cadre d’une armée républicaine au service du peuple ;
- la nécessité de redéfinir les missions du Régiment de la sécurité présidentielle en tenant compte des particularités de ce corps ;
- les obligations de transparence, d’inclusivité et de dialogue doivent présider aux réformes à opérer ;
- le pouvoir judiciaire doit établir les responsabilités des militaires pendant les graves dérives portant sur la violation des droits de l’Homme pendant l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 ;
- ACG doit être porteur de ce message auprès des amis du Burkina Faso et des institutions internationales soucieuses d’un climat de paix.
African Crisis Group, initiateur de la présente journée de réflexion, souscrit pleinement aux attentes des organisations de la société civile du Burkina Faso mentionnées ci-dessus. Ses attentes sont fondées sur une exigence de consolider les acquis démocratiques et créer des conditions idoines pour une société de paix et de bien-être socio-économique. Fidèles à ses valeurs et principes de participer activement au développement et à l’enracinement des solutions endogènes pour des sorties de crises dans les Etats d’Afrique de l’Ouest et particulièrement en tenant compte du contexte socio-politique du Burkina Faso, African Crisis Group souhaite vivement recommander qu’une attention particulière soit portée sur les exigences suivantes :
- la mise en place de concertations inclusives et participatives devant aboutir à l’adoption d’une charte consensuelle et un code de bonne conduite des OSC ;
- la mise en place d’un cadre de discussion et d’échanges entre les acteurs de la Société civile sur l’organisation et la gestion de la période post-insurrectionnelle;
- la mise en place d’un observatoire des OSC devant jouer le rôle d’encadrement, de contrôle et de sanction ;
- la nécessité de procéder à des réformes politiques et sociales fondées sur les états généraux de la Constitution de la IVème République, de l’armée et de la justice ;
- un accompagnement de la communauté internationale aux OSC, aux partis politiques et à la CENI pour garantir des élections libres, transparentes et sincères ;
Ces recommandations ne sauraient être exhaustives, mais elles soulignent le canevas et les points saillants pour rehausser le processus de l’ancrage démocratique au Burkina Faso.
Par ces recommandations, African Crisis Group fait le choix aussi d’assumer pleinement ses responsabilités pour une transition réussie.
Nous en appelons ainsi à votre engagement commun afin que les autorités de la transition, la communauté internationale prennent acte des attentes des OSC et s’investissent pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle.
En espérant que cette déclaration retienne votre attention et vous pousse à envisager des actions concrètes, ACG, marque son entière disponibilité à joindre vos efforts aux leurs pour une action plus efficiente.
Fait à Ouagadougou le 27 janvier 2015