Human Rights Watch épingle la Guinée
En Guinée, certains membres des forces de sécurité ont fait usage d’une force létale excessive, ont adopté des comportements abusifs et ont affiché un manque de neutralité politique lorsqu’ils sont intervenus dans des manifestations en avril et mai 2015, organisées par l’opposition en raison des élections, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Des membres des forces de police ont été fréquemment impliqués dans les abus, ce qui révèle l’urgente nécessité d’établir les responsabilités, d’améliorer les responsabilités du commandement et de former le personnel.
Selon les rapports des hôpitaux examinés par Human Rights Watch, au moins deux manifestants ont été tués et 146 personnes ont été blessées, dont 37 blessées par balle, pendant les violences dans la capitale Conakry. Les médecins qui ont soigné les blessés ont indiqué que la vaste majorité de ces victimes étaient des partisans de l’opposition. Les forces de sécurité ont déclaré qu’au moins 77 policiers et gendarmes ont été blessés, dont 28 gravement, alors qu’ils intervenaient dans les manifestations souvent violentes. Les membres des forces de sécurité impliqués dans des crimes graves et les manifestants qui ont mené des attaques violentes doivent être traduits en justice, a déclaré Human Rights Watch.
« Étant donné le niveau actuel des tensions ethniques et politiques et le risque de violences continues liées aux élections, le gouvernement doit tout simplement prendre des mesures pour faire face à ces abus », a commenté Corinne Dufka, directrice de la division Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Le gouvernement doit agir sans tarder pour améliorer la discipline dans les rangs et s’assurer que toute personne responsable soit tenue responsable. »
Pendant 10 jours en mai et en juin, Human Rights Watch a effectué des recherches sur les violences qui se sont déroulées dans la capitale, Conakry. Cela incluait des enquêtes menées dans six quartiers, la visite et l’examen des dossiers de sept cliniques et hôpitaux qui ont soigné les blessés, ainsi que des entretiens avec 111 Guinéens de différents groupes ethniques et partis politiques qui ont été victimes ou témoins des violences. Des entretiens supplémentaires ont été réalisés avec des chefs de partis politiques et de communautés, des diplomates et des représentants du gouvernement.
Les manifestations ont été déclenchées par un litige concernant l’ordre des élections locales et présidentielles. Les élections locales, qui ont eu lieu en 2005 et étaient prévues pour 2014, ont été reportées en raison de la crise de l’Ebola. Lorsque la commission électorale a annoncé en mars 2015 que les élections présidentielles auraient lieu avant les élections locales, l’opposition a accusé le gouvernement d’essayer de donner un avantage déloyal au parti au pouvoir, puisque la plupart des responsables locaux représentent le parti au pouvoir et pourraient être en position d’influencer le scrutin.
À de nombreuses reprises, des policiers et, dans une moindre mesure, des gendarmes ont fait usage d’une force excessive, ont battu des individus qui ne présentaient aucune menace apparente et ont détruit des biens. Ils se sont également livrés à un comportement non professionnel, notamment à du vol et du banditisme. Des témoins et des victimes ont raconté que les membres des forces de sécurité ont volé des téléphones portables et de l’argent, ont fait main basse sur des marchandises dans des petits commerces, ont cassé des pare-brises, ont coupé des arrivées d’eau dans des communautés et ont jeté des denrées alimentaires, des ordures et des effets personnels dans des puits.
Dans de nombreux cas, des membres de la famille de personnes arrêtées pendant les manifestations ont indiqué qu’ils ont dû verser des pots-de-vin à la police, aux gendarmes et, dans une moindre mesure, aux autorités judiciaires pour les faire libérer. Plusieurs personnes ont déclaré que les détentions semblaient s’être transformées en « opportunité commerciale » pour les forces de sécurité.
Certains membres des forces de sécurité ont aussi fait preuve d’une réponse partisane aux manifestations en criant des injures à caractère ethnique contre les partisans de l’opposition, dont la majorité appartient à l’ethnie peule. À deux reprises au moins, des policiers ont observé sans intervenir ou ont aidé des civils de groupes ethniques soutenant dans une large mesure le parti au pouvoir, alors qu’ils pillaient les biens de personnes considérées comme partisanes de l’opposition.
Human Rights Watch a aussi constaté que de nombreux manifestants ont eu des comportements abusifs pendant les manifestations, y compris, notamment, vol et banditisme. Ils ont également dressé des barrages routiers et volé les passants, jeté des pierres sur les véhicules de transport public et attaqué des personnes qui portaient des t-shirts aux couleurs du parti au pouvoir ou des personnes supposées soutenir le parti au pouvoir, faisant plusieurs blessés.
Pendant les manifestations, ils ont lancé des pierres et des petits objets métalliques avec des frondes sur la police et, parfois, sur des passants. Les leaders de l’opposition ont déclaré que les individus impliqués ne faisaient pas partie de leur mouvement, mais ils ont apparemment pris des mesures insuffisantes pour maintenir la discipline parmi leurs partisans. Des témoins ont raconté que beaucoup d’enfants ont participé aux manifestations, et que bon nombre d’entre eux ont été blessés.
Les autorités judiciaires interrogées par Human Rights Watch ont déclaré que peu de victimes des violences des deux camps ont porté plainte auprès de la police ou ont signalé les infractions aux autorités judiciaires compétentes, indiquant un manque de confiance dans le système judiciaire.
Le nombre d’abus perpétrés par les gendarmes semble avoir significativement diminué par rapport aux incidents similaires en 2010 et 2013. Les gendarmes ont néanmoins été impliqués dans le meurtre d’un homme, le viol en bande d’une femme ainsi que dans de nombreux incidents criminels.
En mai 2015, Human Rights Watch a rencontré l’inspecteur général de la police et neuf commandants de la Compagnie mobile d’intervention et de sécurité (CMIS), l’unité de police chargée d’assurer le maintien de l’ordre public. Lors de la réunion, les responsables de la police ont reconnu certains incidents d’indiscipline, mais ont toutefois détaillé plusieurs actions récentes visant à renforcer la discipline, et ont précisé qu’ils manquaient de formations et d’équipements adéquats pour les agents.
Human Rights Watch a exhorté le gouvernement à traduire en justice les responsables des abus documentés dans le présent rapport, à s’assurer que les membres des forces de sécurité respectent les principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, et à établir un comité de surveillance civile indépendant pour la gendarmerie et la police nationale guinéennes.
Les violences politiques et liées aux élections ont coûté la vie à des centaines de Guinéens au cours de la dernière décennie, plus récemment en 2012-2013, lorsqu’au moins 50 manifestants et deux agents des forces de l’ordre ont été tués avant les élections parlementaires.
De profondes divisions ethniques sous-tendent les violences politiques en Guinée. Au cours des dernières années, les violences ont conduit à des heurts entre les membres du principal parti d’opposition, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), dont les adhérents appartiennent en grande majorité à l’ethnie peule, et ceux du parti au pouvoir, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), dominé par l’ethnie malinké.
Le 10 mars 2015, la Commission électorale nationale (CENI) a annoncé que le premier tour des élections présidentielles aurait lieu le 11 octobre et que l’élection des responsables locaux serait repoussée à 2016. Actuellement, les conseils locaux et régionaux de Guinée sont en majorité dirigés par des délégations spéciales nommées par le pouvoir exécutif. L’opposition prétend que si ces délégations restent en place, elles pourraient être en mesure d’influencer les électeurs lors des élections présidentielles.
En réponse à l’annonce de la CENI, l’opposition a retiré ses 49 représentants de l’Assemblée nationale le 18 mars 2015, a annoncé qu’elle ne reconnaîtrait plus la CENI et a appelé à une série de manifestations, qui ont eu lieu en avril et en mai.
Des dizaines de témoins ont raconté que les jours où les manifestations se sont déroulées, les forces de sécurité se sont déployées dans des quartiers principalement habités par des partisans du parti d’opposition pour empêcher les manifestants de se rassembler en grand nombre. À plusieurs reprises, les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes pour empêcher les leaders de l’opposition de quitter leur domicile ou le siège de leur parti.
Au fil des jours où les manifestations ont eu lieu, les manifestants et les services de sécurité se sont livrés à des batailles rangées, au cours desquelles les manifestants ont dressé des barricades de pneus enflammés et ont jeté des pierres sur les forces de sécurité. Selon les témoins, les services de sécurité ont, en réponse, lancé des gaz lacrymogènes, ont tiré à balles réelles en l’air et, à plusieurs reprises, sur les manifestants, et les ont poursuivis jusque dans les quartiers.
L’opposition avait refusé d’aviser au préalable les autorités locales des manifestations prévues. Les leaders de l’opposition ont précisé à Human Rights Watch que les lois guinéennes stipulent qu’au lieu d’une demande d’autorisation, la seule obligation est d’informer les autorités locales des manifestations projetées, mais qu’ils ne l’ont pas fait car ils considèrent les autorités locales, dont le mandat a expiré, sont illégitimes. Ils ont soutenu que les actions des forces de sécurité pour empêcher leurs partisans et les leaders d’aller manifester violaient leurs libertés de réunion et de circulation.
Les autorités gouvernementales ont expliqué que l’État a le droit et la responsabilité d’autoriser les manifestations parce que, comme l’a souligné un responsable, « même le défilé le plus pacifique peut devenir violent ». Elles ont déclaré que l’absence de notification par l’opposition aux autorités enfreignait la procédure légale prévue par le code pénal et que la perturbation causée par les manifestations avait porté atteinte à la liberté de circulation des Guinéens ordinaires.
Les articles 106-108 du code pénal définissent la procédure pour solliciter une autorisation pour une manifestation, ainsi que les conséquences en cas de refus. Ils stipulent que toutes réunions publiques et manifestations « doivent faire l’objet d’une déclaration préalable avec la date, le lieu et l’itinéraire projeté, et d’une autorisation du gouvernement », et que cette déclaration doit être présentée par écrit entre 3 et 15 jours avant l’événement prévu. L’autorité administrative peut interdire les réunions si elle soupçonne un trouble à l’ordre public. Les personnes participant à des événements non autorisés peuvent être condamnées à une amende et à une peine de prison allant de deux à cinq ans.
Les normes internationales sur la liberté de réunion suggèrent que les exigences de notification préalable qui sont raisonnables et proportionnées ne violent pas ce droit, mais que l’exigence d’une autorisation préalable de la part des autorités pour organiser des manifestations est susceptible d’être une violation de ce droit.
Début juin, l’opposition et le parti au pouvoir ont convenu d’engager des négociations afin de résoudre le conflit sur l’ordre des élections. Fin juin, l’opposition a suspendu sa participation aux négociations, invoquant l’absence de progrès.
Human Rights Watch s’est rendu dans trois hôpitaux et quatre cliniques plus petites de Conakry pour y examiner les dossiers médicaux. En tenant compte des patients soignés dans plusieurs hôpitaux, les dossiers laissent entendre qu’au moins 146 personnes ont été blessées. Les responsables des hôpitaux ont confirmé que la vaste majorité était des partisans peuls du parti d’opposition ou des citoyens peuls vivant dans les quartiers soutenant largement l’opposition.
Trente-sept personnes ont été blessées par balle, dont deux sont mortes. Les médecins ont précisé qu’au moins trois des personnes qu’ils ont soignées avaient été touchées par des balles perdues.
Le personnel médical, les enquêteurs sur les droits humains et les représentants des partis politiques ont indiqué que la majorité des blessés par balle en 2015 avaient été atteints aux pieds et aux jambes et que le nombre de personnes tuées était considérablement inférieur par rapport aux précédents épisodes de violences politiques en 2007, 2009 et 2013.
Des membres du personnel médical militaire ont déclaré à Human Rights Watch que, dans le cadre de la réponse aux manifestations à Conakry, 77 membres de la police et de la gendarmerie ont été blessés, dont 28 gravement.
Des responsables de la police et un responsable militaire ont indiqué que la plupart avaient été blessés par des pierres et des petits morceaux de fer ou des billes jetés à l’aide de frondes ou depuis des bâtiments, entraînant des fractures, des entailles profondes, des dents cassées, des oreilles sectionnées et des blessures à la tête. « Nous étions bien loin de manifestations pacifiques », a expliqué un médecin militaire qui a soigné les blessés. « J’ai vu des policiers portant des casques avoir le crâne ouvert par un morceau de métal jeté ou une pierre lancée. »
Un responsable de la police a raconté qu’un de ses hommes a perdu un œil ; un autre a eu le pied cassé ; trois autres ont été blessés par des fragments projetés par un fusil de chasse et quelques autres ont été frappés par des manifestants.
Un commandant de police, qui a été touché par une pierre, a raconté que les pare-brise de plusieurs véhicules de police, y compris le sien, ont été fissurés par des jets de pierres et, dans un cas, par une arme à feu : « Parfois, cela ressemble à une guerre urbaine avec des personnes hostiles qui dressent des barricades, puis qui arrivent vers vous de toutes parts, comme une embuscade, depuis les rues latérales et par en haut. Ce n’était pas comme ça en 2007 ; les manifestations sont sans aucun doute de plus en plus violentes. »
Les responsables de la police ont ajouté qu’ils avaient besoin de plus d’équipements de protection pour leurs hommes et leurs véhicules.
Dans ses déclarations et dans les entretiens avec Human Rights Watch, le gouvernement a insisté sur le fait que la police et les gendarmes n’ont strictement pas le droit de porter ou d’utiliser des armes à feu lorsqu’ils interviennent dans des manifestations de rue.
Le directeur général de la police, Mohamed Gharé, a expliqué les instructions données à ses hommes : « Avant chaque intervention en cas de trouble à l’ordre public, des instructions très claires, orales et écrites, sont données : ils ne doivent pas utiliser d’armes ou d’autres moyens létaux. Si un agent de police est vu avec une arme, il sera puni. Nous ne plaisantons pas avec cela. » Dans un entretien avec Human Rights Watch en 2014, le porte-parole de la gendarmerie avait indiqué que des instructions similaires étaient données aux gendarmes. Plusieurs policiers et gendarmes ont dit qu’avant de quitter leur base pour intervenir dans les manifestations violentes, leurs commandants ont fouillé leurs véhicules pour s’assurer qu’ils ne contenaient pas d’armes.
Cependant, la position officielle est démentie par les dossiers médicaux et par des dizaines de témoins qui ont fait état de policiers et, dans une moindre mesure, de gendarmes en train de tenir et d'utiliser des armes à feu, y compris des AK-47, des G3 et des pistolets. Un témoin a raconté qu’il a vu un commandant de la CMIS distribuer ce qu’il pensait être des G3 à plusieurs policiers au début du mois de mai 2015.
Lorsque les responsables de la police ont été interrogés à propos de cette contradiction, ils ont répondu que les blessures pouvaient être dues à des tirs entre manifestants ou pouvaient être le résultat de manifestants ayant menacé des policiers ou des gendarmes habilités à utiliser des armes, notamment ceux qui montent la garde devant les casernes, les banques ou les bâtiments du gouvernement.
Beaucoup de témoins ont indiqué que les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes et ont tiré en l’air avant de tirer, ou en tirant en même temps, sur les manifestants, ce qui suggère qu’ils pourraient avoir été, à certains moments, dépassés par les manifestants.
Human Rights Watch a interrogé cinq victimes de blessures par balle, dont certaines ont admis s’être livrées à des violences et avoir jeté des pierres contre les forces de sécurité. Ces victimes et plusieurs autres témoins ont vu des membres des forces de sécurité tirer directement sur ou près des manifestants. Trois personnes blessées par balle ont raconté à Human Rights Watch qu’elles ont été touchées alors qu’elles fuyaient les troubles. Un étudiant de 15 ans qui a été atteint au mollet a expliqué :
« C’était très tendu ; des personnes du quartier jetaient des pierres à la police ; j’ai vu un camion de policiers arriver, plusieurs avaient des fusils – nous n’avions que des pierres. Ils ont sauté du camion et ont tiré en l’air... Après avoir couru un peu, je me suis arrêté et je les ai vus nous tirer dessus... C’est à ce moment que j’ai été touché. »
Trois témoins ont décrit le meurtre, le 13 avril dans le quartier d’Hamdallaye, de Thierno Souleymane Bah, âgé de 30 ans, par un gendarme armé d’un pistolet. Les témoins ont déclaré que le gendarme était un des gendarmes chargés de la sécurité d’une permanence locale du parti RPG au pouvoir, située dans la rue. L’un des témoins a confié :
« C’était très tendu entre la population et les gendarmes toute la journée. Nous avancions vers la commune de Ratoma mais nous avons été bloqués par les gendarmes plus haut dans la rue. Vers 16 h, j’ai entendu “Au feu, au feu, à l’aide !” et beaucoup d’entre nous ont couru et ont vu quelques magasins auxquels les forces de sécurité avaient mis le feu. Alors que nous faisions des allers-retours en courant avec de l’eau pour éteindre l’incendie, un des gendarmes a visé avec un pistolet – à environ 20 ou 30 mètres de distance – et a tiré... Souleymane s’est effondré. À ce moment, nous ne jetions pas de pierres, nous tentions d’éteindre le feu. Il a été touché à la poitrine... Du sang est sorti de sa bouche. Je l’ai appelé par son nom deux fois... Quand nous l’avons transporté, il est soudain devenu plus lourd... »
Les autorités guinéennes devraient en permanence respecter les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, qui établit les normes justifiant l’utilisation d’armes à feu et d’une force létale intentionnelle, a déclaré Human Rights Watch. L’article 9 prévoit que la force létale doit uniquement être utilisée dans les cas de « légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave » et « seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs ». L’article 10 appelle les responsables de l’application des lois à donner un avertissement clair de leur intention d’utiliser des armes à feu. L’article 11 préconise l’établissement de directives claires qui, entre autres, appellent à une utilisation des armes à feu d’une manière susceptible de minimiser le risque de dommages inutiles, qui prévoient que des sommations soient faites avant utilisation des armes à feu et qui prévoient un système de rapports en cas d’utilisation d’armes à feu par des responsables de l’application des lois dans l’exercice de leurs fonctions.
Plus de 30 personnes ont raconté à Human Rights Watch qu’elles ont été giflées, frappées à coups de pied, fouettées, matraquées et battues à coups de crosses de fusil, de pierres et de bâtons et, dans un cas, à coups de couteau par des membres des forces de sécurité dans la rue ou dans les quartiers fortement touchés par les violences. Certaines personnes ont précisé que les forces de sécurité ont jeté des pierres sur les manifestants, quelque temps après avoir apparemment épuisé leurs gaz lacrymogènes.
Des témoins ont indiqué que beaucoup de blessés étaient des partisans du parti d’opposition de l’UFDG ou d’un parti d’opposition plus petit, l’Union des Forces républicaines (UFR), qui participaient aux manifestations, tandis que d’autres ont été pris pour cible chez eux ou alors qu’ils se rendaient ou revenaient du travail, du marché ou de l’école. D’autres ont été battus en détention. Des membres du personnel judiciaire ont signalé que beaucoup de personnes déférées devant le tribunal étaient couvertes de sang ou avaient des blessures visibles.
De nombreux témoins ont montré à Human Rights Watch les signes physiques des abus qu’ils disent avoir subis, dont des contusions, des entailles, des points, des hématomes et des yeux tuméfiés. Plusieurs portaient toujours des plâtres et des bandages couvrant les blessures. La plupart des agressions, ont-ils décrit, étaient accompagnées d’injures à caractère ethnique ou d’insultes sur l’appartenance des victimes à un parti d’opposition, et beaucoup étaient en lien avec des vols.
Plusieurs personnes ont déclaré que les forces de sécurité ont lancé des gaz lacrymogènes dans des maisons, dans des quartiers peuplés et, dans un cas, dans la cour d’une mosquée. Les médecins et les dossiers médicaux ont révélé que de nombreux nourrissons et enfants ont été soignés pour une asphyxie due aux gaz lacrymogènes.
Plusieurs membres d’une famille élargie ont expliqué qu’en avril, environ sept membres de la CMIS, dont plusieurs avaient des armes à feu, ont pénétré dans la propriété de la famille et ont traîné dehors puis arrêté un jeune homme de 18 ans et sa sœur, en les frappant sévèrement. Le jeune homme a eu la main cassée alors qu’il tentait de se protéger la tête d’un coup de bâton. Lorsque leur mère et une tante ont voulu intervenir, elles ont été poussées au sol et frappées plusieurs fois avec un bâton. Toutes deux boitaient encore lorsqu’elles ont été interrogées.
Une étudiante de 19 ans a raconté qu’un gendarme l’a arrêtée alors qu’elle allait chercher son frère à l’école, qu’il l’a frappée et l’a volée, et lui a entaillé un « x » sur l’avant-bras. Un médecin, membre du parti UFR, a indiqué que parmi les 28 partisans de l’UFR blessés qu’il a soigné pendant les manifestations à Kaloum ou Matam, beaucoup ont été blessés par des policiers.
Une dirigeante de l’UFR a raconté qu’un policier l’a jetée à terre puis lui a piétiné la main gauche et la lui a cassée. Un homme âgé a eu le bras fracturé, tandis qu’une femme de 60 ans présentait deux hématomes sur le flanc, encore visibles par le chercheur qui l’a interrogée : « Je sais que certaines manifestations sont violentes, mais ce jour-là, nous étions pacifiques », a expliqué la femme. « En tant que leader de parti, je marchais devant. La police nous a lancé des gaz lacrymogènes, puis a foncé sur nous sans raison ! Un des policiers m’a fauché les jambes puis m’a frappé sévèrement dans le flanc. Je dois aller à l’hôpital toutes les deux semaines pour drainer le sang. » Un cas de force excessive, contre un journaliste gravement battu par plusieurs policiers dans le quartier de Coza, a débouché sur des mesures disciplinaires à l’encontre de deux capitaines.
Human Rights Watch a documenté le viol d’une femme peule arrêtée par un groupe de gendarmes. Après avoir été embarquée de force dans leur véhicule le 14 avril, la victime âgée de 26 ans a été conduite les yeux bandés dans un bâtiment, a été déshabillée et violée par au moins deux hommes. « D’abord ils ont enfoncé une matraque en moi, très violemment, ensuite deux d’entre eux ont abusé de moi », a-t-elle raconté. Avant d’être relâchée plusieurs heures plus tard, et au moins à quatre reprises depuis (par téléphone), elle a été menacée de mort si elle signalait le viol. La victime souffrait visiblement six semaines après l’agression.
De nombreux témoins et victimes ont déclaré avoir vu des membres des forces de sécurité incendier ou détruire des étals de marché et des petits commerces, détruire des machines à coudre, des centres d’appel téléphonique et des robinets d’eau, briser des fenêtres et jeter des aliments et des articles ménagers dans des puits.
Dans plusieurs quartiers, Human Rights Watch a observé des impacts de balle sur les murs, du verre brisé, des plaques métalliques brûlées et d’autres dégâts, et a pu voir des photos de dégâts prises par les victimes avec leurs téléphones portables.
Des témoins ont décrit, et Human Rights Watch a constaté, la destruction de deux robinets d’eau de communautés par les forces de sécurité alors qu’elles réagissaient aux troubles, l’un à Hamdallaye par les gendarmes et l’autre à Bambéto par la police. « Ils ont tout saccagé – cassant les ampoules, les fenêtres – et là, au bout de la rue – ils ont coupé et détruit la pompe à eau », a commenté un témoin. « Des milliers de personnes viennent utiliser cette eau chaque jour ; pourquoi faire ça ? »
Les autorités policières ont expliqué à Human Rights Watch que, depuis 2013, les policiers recevaient la stricte instruction de ne pas poursuivre les manifestants dans leurs quartiers. Cependant, de multiples témoins ont indiqué que la plupart des cas de destruction de biens dans les quartiers avaient été le fait de policiers.
De nombreux résidents de Bambéto, Wanindra et Koloma ont signalé que des policiers sont entrés de force dans les maisons, ont brisé les fenêtres, ont renversé la nourriture cuisant sur le feu et, dans plusieurs cas, ont jeté des aliments, des ordures, des sacs de riz, des casseroles, des vêtements, du charbon, des seaux et d’autres objets dans les petits puits situés sur leur propriété. Une femme de Koloma a raconté : « Ils sont entrés brusquement, nous ont menacés avec des couteaux... Nous avons couru nous cacher... Je les ai entendu dire : “Nous allons vous tuer, salauds, vous ne mangerez pas aujourd’hui et vous n’aurez jamais le pouvoir.” Une fois qu’ils sont partis, nous avons trouvé trois seaux, des poêles, des ordures, des cuillères, même nos vêtements, dans le puits. »
Des résidents de Koloma et Wanindra ont décrit avoir vu des policiers uriner dans de la nourriture et, dans un cas, mettre une couche de bébé sale dans une casserole de riz. Dans le quartier de Cimenterie-Sonfonia, des policiers ont incendié et pillé huit petits étals vendant de la nourriture. Des résidents de Bambéto et de Koloma ont indiqué que des policiers ont cassé des pare-brise de voitures avec des pierres alors qu’ils poursuivaient des manifestants des routes principales jusque dans les quartiers. Les propriétaires de deux petits ateliers de réparation automobile ont montré les dégâts à un chercheur. Dans un atelier, six pare-brise ont été cassés. Le propriétaire du deuxième atelier a fait le récit suivant :
« Des garçons qui avaient jeté des pierres sur la police ont traversé mon atelier en courant et ont sauté par-dessus le mur et quelques secondes plus tard, la police est arrivée à leur poursuite. Lorsqu’ils ont vu que les jeunes s’étaient échappés, ils ont pris de grosses pierres et ont commencé à fracasser les pare-brise des voitures de mes clients, l’un après l’autre, sept au total, comme si c’était de ma faute... »
De manière similaire, au début du mois de mai, la police a lancé des pierres sur le kiosque d’un homme à Matam : « Lorsque la police est arrivée, je me suis barricadé dans le kiosque. Je les ai entendus dire : “hum,... C’est dans des endroits comme celui-là qu’ils se cachent.” Ils ont lancé des pierres sur le kiosque... Les choses ont commencé à se briser... Mon thermos, ma télé... Tout a été cassé. »
Une couturière de Wanindra a raconté que la police a mis le feu à son mannequin et à ses tissus avant de détruire plusieurs machines à coudre. Plusieurs jeunes hommes ont déclaré que leurs petits commerces de recharge de téléphones ont été incendiés.
Le propriétaire d’un kiosque à Hamdallaye a indiqué que plusieurs gendarmes répondant aux troubles ont mis le feu à son kiosque et volé sa marchandise. Il a précisé que plusieurs petits commerces comme le sien ont été détruits par les gendarmes ce jour-là : « Quand ils sont entrés, je suis allé me cacher mais je les ai vus verser de l’essence avec des petites bouteilles en plastique et y mettre le feu. J’ai travaillé très dur pour ce commerce. J’ai perdu 15 millions de FG (2 067 USD) de marchandises. »
Beaucoup de témoins ont signalé que les forces de sécurité, en particulier des membres de la CMIS, ont volé des téléphones portables, de l’argent, des marchandises et des articles ménagers au cours de nombreuses opérations. Les crimes documentés ont eu lieu dans les quartiers de Cimenterie-Sonfonia, Matam, Wanindra, Hamdallaye et Koloma les jours de manifestations.
Une veuve handicapée âgée de 62 ans, vivant dans une cabane d’une seule pièce à Koloma, a indiqué qu’en avril, des policiers saccageant le quartier ont renversé d’un coup de pied le riz qu’elle faisait cuire, ont défoncé sa porte, l’ont jetée hors du lit et ont trouvé « tout l’argent que j’avais au monde, environ 4,8 millions de FG (661 USD) que je cachais dans le matelas ». Elle les a suppliés de laisser l’argent, « lorsqu’ils sont partis, ils ont plié ma béquille et m’ont hurlé que je n’avais pas appris à mes enfants à ne pas descendre dans la rue ».
Deux victimes ont indiqué que le 4 mai, sept hommes âgés buvant du thé devant une boutique du quartier de Wanindra ont été arrêtés par des policiers de la CMIS qui les ont ensuite volés, alors qu’ils traversaient le quartier. Ceux qui n’avaient pas la somme requise ou dont aucun parent ne pouvait amener l’argent, ont été conduits au poste de police.
Deux témoins ont raconté que trois gendarmes à bord d’un véhicule officiel et armés de pistolets ont braqué le propriétaire d’une boutique et lui ont volé ses deux téléphones et 2 millions de FG (275 USD) en espèces. « En partant, ils ont volé du jus et ont emporté les quelques Gloria (lait concentré) qu’ils pouvaient faire rentrer dans leurs poches », a expliqué un témoin. Un journaliste a déclaré que des policiers lui ont volé son téléphone, sa caméra professionnelle et 135 000 FG (18,60 USD).
Dans le quartier de Cimenterie-Sonfonia, six témoins ont rapporté que des policiers ont pénétré dans 8 étals vendant de la nourriture, les ont pillés et y ont mis le feu. Tous les étals appartenaient à des hommes d’affaires peuls. La destruction a été clairement constatée par un chercheur. Les témoins ont indiqué que des partisans du parti au pouvoir, qui, plus tôt, avaient affronté les partisans de l’opposition, se sont livrés à des pillages sans que les policiers présents n’interviennent.
Le 4 mai, une femme d’affaires et partisane de l’UFR, qui avait perdu connaissance lorsque la police l’a frappée alors qu’ils tentaient d’arrêter son fils de 20 ans à leur domicile, a accusé la police d’avoir volé 3,5 millions de FG (482 USD) qu’elle gardait pour payer ses employés.
Deux témoins ont indiqué que des policiers répondant aux agitations autour de la permanence de l’UFR à Matam « ont profité des violences » pour voler dans une boutique. L’un d’eux a confié :
« Alors que les choses ont commencé à chauffer entre nous, trois membres de la CMIS – j’ai vu leur insigne – sont entrés en trombe dans la boutique de ma famille. Nous nous sommes enfuis mais de loin, nous les avons vus voler des sardines, de la viande, du jus, du savon – ma mère venait d’acheter un stock d’une valeur de 5 millions de FG (689 USD). Ils ont tiré en l’air pour nous disperser, mais nous les avons vus mettre nos affaires dans les camions de la CMIS. Au même moment, ils ont volé un homme qui était venu livrer des bouteilles d’eau Cristal ; je les ai vus prendre son sac avec l’argent. »
Un musicien âgé de 35 ans a été volé le 4 avril alors qu’il était détenu au poste de police : « J’avais 840 000 FG (115,75 USD) dans ma poche pour payer une production plus tard ce jour-là. En raison de mon apparence (avec des dreadlocks), ils ont pensé que j’étais un manifestant. Ils m’ont frappé à la tête et m’ont jeté dans leur camion. Au poste, ils m’ont demandé si je voulais laver le sang sur mon visage. Pendant que je me lavais dans les toilettes, ils m’ont sauté dessus en disant : “Hé, c’est un vendeur de drogue... Fouillez-le”. C’était un prétexte pour voler l’argent qu’ils avaient dû voir dans ma poche. »
Quatorze personnes ont expliqué que des membres des services de sécurité et, dans une moindre mesure, des membres du personnel judiciaire, leur ont demandé de verser des pots-de-vin en échange de leur libération ou de celle d’un membre de leur famille. Dans la plupart des cas, la détention n’a pas dépassé la limite locale de 72 heures définie par la loi guinéenne. La plupart des pots-de-vin ont été versés à des agents de police, alors que d’autres ont été payés à des gendarmes et à du personnel des autorités judiciaires.
Des personnes ayant été arrêtées, des leaders de partis politiques et des anciens des communautés ont expliqué à Human Rights Watch que, selon eux, beaucoup d’arrestations ne servaient pas tant à sanctionner les auteurs de violences qu’à rapporter de l’argent aux membres corrompus des services de sécurité et du système judiciaire. La somme versée par personne allait de 100 000 FG (13,79 USD) à 1 million de FG (137,80 USD).
Un père a dit avoir payé une première fois des policiers pour qu’ils apportent de la nourriture et des médicaments à son fils qui avait été sévèrement battu par des policiers avant d’être détenu dans un poste de la CMIS. Trois jours plus tard, il a dû payer 500 000 FG (68,90 USD) pour garantir la libération de son fils. « J’avais tellement peur qu’il meure... Son dos était couvert de sang et d’ecchymoses… Je devais le tirer de là. »
Une femme a expliqué qu’elle a négocié avec le commandant de la CMIS locale pour la libération de ses enfants et qu’il a accepté de recevoir une somme inférieure pour chacun, parce qu’ils étaient deux. Deux autres personnes ont déclaré que leurs avocats ont négocié avec des « agents de l’État » au sein du système judiciaire pour faire libérer leurs enfants qui avaient été accusés d’un crime et envoyés en prison.
Trois représentants de partis d’opposition, désignés par les partis pour négocier entre les familles de détenus et les membres des services de sécurité, ont indiqué avoir versé des pots-de-vin pour garantir la libération des détenus. Un leader de la jeunesse de l’UFDG a raconté :
« Et oui, les arrestations se sont transformées en joli petit commerce pour ces gens... Les policiers arrêtent mes garçons, puis je viens négocier leur liberté. Après les troubles en avril et en mai, j’ai fait ça pour 15 de mes jeunes qui étaient détenus dans trois endroits. Parfois, je monte directement au maximum pour négocier : je paie entre 300 000 FG (41,34 USD) et 500 000 FG (68,90 USD) par personne. Parfois je leur hurle dessus, mais ils répondent : “OK, envoyez-les en prison, ça ne dépend que de vous.” Je donne l’argent de la main à la main ; ensuite ils les libèrent la nuit. C’est essentiellement la police mais pas toujours, certains commandants de police sont très honnêtes, et quelques gendarmes sont impliqués aussi. »
Human Rights Watch a observé qu’à de nombreuses reprises les forces de sécurité ont fait preuve d’un manque de neutralité dans leur réponse aux violences politiques.
Les victimes peules d’abus commis par les forces de sécurité ont été, à peu d’exceptions près, sujettes à des injures à caractère ethnique, des insultes qui avaient trait à leur origine ethnique et souvent des menaces de mort sur la base de leur groupe ethnique. D’autres membres de l’opposition politique, notamment des adhérents de l’UFR, ont été insultés en raison de leur affiliation politique.
Les insultes incluaient : « Vous, les Peuls, n’aurez jamais le pouvoir dans ce pays », « Vous, salauds de Peuls, nous allons vous avoir pour de bon » et « Vous, les Peuls, ruinez la Guinée ». Des Peuls d’âge moyen et âgés se sont entendus dire : « C’est ce que vous récoltez pour ne pas avoir éduqué vos enfants, pour les avoir laissés jeter des pierres dans la rue. » Lorsqu’une écolière peule a supplié un gendarme de ne pas lui faire de mal en disant : « Je pourrais être ta sœur », celui-ci a répondu : « Mais ma sœur, une Guerzé, est à la maison, mais vous les Peuls êtes dans la rue ! »
Alors qu’un homme était battu à coups de matraque par un gendarme, ce dernier lui a dit : « Ah, tu veux le pouvoir ? C’est mon pouvoir que tu vas avoir... Ton père est Cellou Dalein Diallo (leader de l’UFDG), n’est-ce pas ? Nous allons tous vous éliminer. »
Une femme peule victime d’un viol en bande lors d’une garde à vue à la gendarmerie a raconté que pendant qu’ils la violaient, ils lui disaient : « Nous t’avons vu manifester ; ça, c’est pour avoir refusé de rester loin de l’agitation ; parce que Cellou est ton père. »
Des partisans de l’UFR ont aussi été insultés, principalement par des policiers qui faisaient des commentaires négatifs sur le président du parti, Sidya Touré. Les épouses de deux dirigeants de l’UFR ont décrit comment des policiers les ont battues ou ont lancé des gaz lacrymogènes dans ou près de leurs maisons, selon elles, pour punir leurs maris pour leur activité politique. Une femme a indiqué qu’un policier lui a spécifiquement demandé si son bébé s’appelait Sidya : « Ils savaient que mon bébé avait reçu le prénom de notre leader. »
À Wanindra, pendant deux jours de violences impliquant la police et les partisans du parti au pouvoir d’un côté et l’opposition de l’autre, des témoins ont raconté que des policiers et des partisans du parti au pouvoir ont pillé ensemble des marchandises dans plusieurs commerces appartenant à des Peuls avant d’y mettre le feu. Les témoins ont expliqué que les foules étaient armées de pierres, de bâtons et, parfois, de machettes et de couteaux, mais que la police ne les a pas dispersées avec des gaz lacrymogènes ni désarmées ou arrêtées. Le propriétaire d’un des commerces a fait le récit suivant :
« J’ai vu que la police avait cassé le verrou de ma boutique et qu’ils chargeaient mon corned-beef, mon sucre, ma mayonnaise, mon jus dans deux camions. J’ai hurlé : “Ce sont mes marchandises” et ils ont répondu : “Approche et nous te tuons”. Des foules de Malinkés étaient partout, volant dans d’autres boutiques. Des femmes ont essayé de mettre le feu, mais les policiers les ont menacées puis, au lieu de cela, ont incité les foules à continuer à mettre le feu et à voler. »
Les violences semblaient être en représailles d’une attaque antérieure menée par une foule de partisans de l’opposition contre la maison et le commerce d’un homme d’affaires bien connu d’un groupe ethnique considéré comme soutenant le parti au pouvoir.
Le propriétaire d’une autre boutique a entendu un policier encourager un manifestant du camp du parti au pouvoir, « Bien joué, prenez ce que vous ne pouvez pas brûler ». Une autre propriétaire a indiqué qu’elle a hurlé sur la police pour ne l’avoir pas aidé à éteindre les flammes et que les policiers lui ont répondu : « Mais c’est nous qui avons mis le feu ! ». Elle a déclaré que : « Lorsque vous voyez ceux qui sont censés vous protéger en train de vous faire du mal ou de protéger des criminels, vous ne savez pas quoi penser. »
Le lendemain, alors que les violences continuaient, les témoins ont raconté que les policiers ne sont pas intervenus alors qu’une foule de partisans du parti au pouvoir volaient une boutique appartenant à un leader local de l’UFDG. « À ma surprise, ils ont jeté des gaz lacrymogènes sur les membres de la communauté qui s’étaient mobilisés pour faire cesser le pillage, pas sur ceux qui pillaient », a commenté une femme.
Plus tard, la même foule a attaqué la famille d’un imam peul. « Ils ont volé six téléphones, brisé des fenêtres, volé de l’argent, arraché le voile des deux épouses de l’imam, les ont traînées dehors, les ont battues avec une chaîne, puis ont essayé de brûler la bibliothèque de l’imam », a raconté un membre de la famille. Dans les deux cas, la police n’a pas arrêté les personnes impliquées alors qu’elle était sur les lieux pendant que les crimes étaient commis.
Des témoins ont raconté qu’à Matam, une foule de partisans du parti au pouvoir, certains armés de bâtons hérissés de clous, s’est approchée de la permanence de l’UFR apparemment protégée par plusieurs policiers. Ce témoin était un de ceux qui ont signalé que les gendarmes ont cherché à dissiper les tensions entre les policiers, les membres du parti au pouvoir et les partisans de l’UFR ce jour-là :
« Ce jour-là, nous sortions de la permanence lorsque nous avons vu environ 200 contre-manifestants (partisans du parti au pouvoir) rassemblés sur le rond-point et protégés par beaucoup de policiers et trois véhicules de police. Les partisans du parti au pouvoir étaient armés de bâtons, dont 10 environ recouverts de clous, mais la police ne les a pas désarmés. Heureusement, les gendarmes sont arrivés, avec un capitaine, qui a calmé la situation et a entamé une médiation. Il a appelé deux personnes de notre camp et deux de leur camp. Les gendarmes ont passé la journée entière avec nous, nous leur sommes très reconnaissants. »
En 2009, la Guinée a entamé un long processus de réforme du secteur de la sécurité, prévu pour professionnaliser les forces qui étaient devenues régulièrement indisciplinées et qui, pendant des décennies, avaient bénéficié d’une impunité pour toutes les catégories d’abus.
Le processus de réforme du secteur de la sécurité a fait des progrès, notamment l’élaboration et la mise en œuvre de codes de conduite pour améliorer la discipline des forces de sécurité, ainsi que des efforts de formation. Des diplomates, des défenseurs des droits humains et des autorités policières ont expliqué que la formation avait bénéficié de manière disproportionnée à l’armée et aux gendarmes.
L’inspecteur général de la police a déclaré à Human Rights Watch qu’il s’était engagé à avoir des forces disciplinées et que « tout agent impliqué dans des abus contre la population sera puni ». Il a souligné plusieurs actions récentes pour garantir la discipline au sein de la police. Cela inclut la destitution du commandant de la CMIS de Dubreka pour le manque de neutralité de ses hommes lorsqu’ils ont répondu aux manifestations en mai, des actions disciplinaires à l’encontre de deux capitaines pour l’agression physique d’un journaliste, l’identification (avec des numéros) de tous les véhicules de la CMIS pour les rendre plus facilement identifiables, et l’établissement d’un bureau de liaison des droits humains au sein de la police.
Human Rights Watch reste préoccupé par le fait que les agents de la police ou de la gendarmerie qui ont commis des abus pendant les manifestations sont rarement sanctionnés. Le système judiciaire, la gendarmerie et la hiérarchie de la police doivent prendre des mesures concrètes pour améliorer le commandement et le contrôle pendant les manifestations, pour enquêter sur les nombreux cas documentés dans le présent rapport et pour établir un comité de plaintes du public contre les forces de police.
Les leaders de l’opposition ont prétendu que les manifestants étaient pacifiques, mais comme un leader l’a indiqué : « Ils deviennent violents lorsqu’ils sont provoqués par les services de sécurité ». Des personnes de tous horizons politiques ont décrit les violences pendant les manifestations prévues et les quelques jours qui ont suivi. Beaucoup ont spéculé que certaines personnes profitaient de ce chaos pour commettre des crimes.
Plusieurs témoins ont raconté que les jours des manifestations prévues, des manifestants ont jeté des pierres sur des véhicules de transport public, blessant des écoliers et des vendeuses sur les marchés, entre autres. Un homme a expliqué qu’il avait donné les premiers soins à une femme après que des partisans de l’opposition ont jeté une grosse pierre sur un véhicule de transport public :
« Pendant ces manifestations, la population souffre vraiment. Jusqu’à présent cette année, j’ai vu des jeunes armés de frondes, et une fois ils ont tiré sur la police avec un fusil traditionnel. Chaque fois, les jeunes barricadent les rues ; ils volent les voitures qui passent. En mai, les jeunes ont jeté une grosse pierre sur un taxi depuis un bâtiment. Elle est tombée sur une femme dans un taxi qui revenait du marché, lui déchirant la bouche... C’était affreux. »
Un autre homme a indiqué qu’il avait été volé deux fois à des points de contrôle établis par des manifestants : « Ils étaient environ 20, comme d’habitude, ils ont barricadé la route avec des pneus enflammés, arrêtant chaque voiture qui approchait. Ils étaient armés de bâtons et de pierres et exigeaient nos téléphones et notre argent. Mais s’agit-il de manifestants ou de voyous profitant de la situation ? »
Certaines victimes semblaient avoir été délibérément visées pour leur affiliation politique, comme un jeune homme de 17 ans qui a raconté avoir été attaqué par des partisans de l’opposition alors qu’il sortait acheter du pain parce qu’il portait un t-shirt à l’effigie du président Alpha Condé. Du fait de ses blessures, le garçon a perdu la vision d’un œil.
Beaucoup de personnes ont signalé que les violences ont continué pendant un jour ou deux après les manifestations. Un étudiant a dit : « Mon père et moi avons été attaqués en mai, un soir, un jour ou deux après la manifestation ; ce qui nous a protégé des violences est le fait que mon père parle peul. Ils nous ont menacés avec un couteau, ont pris l’argent de mon père et nos téléphones. »
Un homme d’affaires vivant dans le quartier de Cimenterie-Sonfonia, interrogé dans les restes carbonisés de sa maison, a indiqué que le 7 mai une foule de centaines de partisans de l’opposition ont attaqué la maison de sa famille et les boutiques voisines – un bar et un centre de vidéos – en les pillant et en les réduisant en cendres :
« J’ai vécu ici pendant de nombreuses année, mes sept enfants ont grandi ici, je n’ai jamais créé de problèmes. Ils étaient armés de pierres, de couteaux... Quand les pierres ont commencé à pleuvoir, je ne pensais qu’à mes enfants... J’avais peur qu’ils tuent mes garçons, donc ils se sont enfuis en premier par le mur arrière. Alors qu’une de mes filles tentait de s’enfuir, sa jambe s’est empalée sur une tige en fer (de la clôture)... Ils parlaient peul... Ils ont dépouillé notre maison avant d’y mettre le feu... En volant les réfrigérateurs, l’argent, les générateurs, les télés... Et dans l’incendie, nous avons perdu toutes nos photos de famille, l’histoire de toute la vie de ma famille. Et pour quelle raison ? Que leur avons-nous fait ? »
Source: Human Right Watch