Election Burkina


Pour que l’insurrection produise réellement les effets escomptés d’une renaissance démocratique, les différents acteurs du paysage socio-politique national actuel doivent faire montre d’une « sure érection » dans la pose des assises de la refondation. D’autant que, plus l’échéance approche, plus le doute s’installe autour d’un aboutissement heureux de ce processus crucial.

A Chaque étape, se dresse un lot d’incertitudes avec des points d’achoppement exacerbés par les crises régulières, latentes et explosives entre le fameux Régiment de sécurité présidentielle (RSP) et son pion au sein de l’Exécutif, devenu tellement ondoyant et incontrôlable. Les luttes au sein d’un même camp voire dans une même famille sont les plus fratricides. Et celles récurrentes entre le Lieutenant-Colonel Yacouba Isaac Zida et ses frères d’armes ont failli prendre en otage le destin de toute une Nation. Le premier semble guidé par ses nouveaux attributs au sommet de l’Etat avec une fallacieuse compréhension divine de son ascension. Les seconds, évoluant depuis longtemps en « bandes armées », sont préoccupés par la crainte de perdre des privilèges.

La volte-face du Premier ministre devant le Conseil national de la Transition (CNT) vient conforter l’opinion sur ses propos hasardeux et maladroits concernant la vie de la Nation. Cet amateurisme pour une autorité au sommet de l’Etat s’est amplifié avec les déclarations tenues à Abidjan et le spectacle désolant à son retour. Il est temps de rappeler ici que lorsqu’on est porté à de hautes fonctions, l’on doit prendre de la hauteur et s’efforcer d’être au-dessus de la mêlée. Cette remarque vaut aussi pour les leaders politiques et des responsables d’organisations de la société civile. Car leurs sorties intempestives trahissent l’indépendance des organes de la Transition. Le jeu trouble ne met que de l’huile sur le feu et attiser le sentiment d’acharnement, de harcèlement, de règlements de compte, de machination.

Aucune personnalité, actuelle ou à venir n’a intérêt à promouvoir une image clanique en se forgeant une considération partisane en lieu et place d’une stature d’apaisement, rassemblement, d’unité et d’union. Ce n’est guère faire l’apologie de l’impunité mais s’ériger en un rempart rappelant aux Burkinabè « Plus rien ne sera comme avant » signifie en premier que « Nul ne doit ignorer la loi car nul n’est au-dessus de la loi ». Cette boussole doit guider dorénavant la communauté de destin au sein de laquelle les vainqueurs d’aujourd’hui et les vaincus d’hier doivent apercevoir la nécessité de tout réparer à travers une Justice sincère.

L’avenir d’un pays ne peut reposer sur des projets de victimisation, de réactions par à-coup, de propos à l’emporte-pièce, de décisions ciblées, etc. D’autant que la logique erronée du « Tout ou Rien », qui a prévalu pendant vingt-sept (27) ans, ridiculisant les opinions plurielles, ont envenimé les contradictions dans ce pays. Il faut souvent admettre que la majorité peut faire fausse route, se tromper et la minorité est capable d’éclairer la voie, en somme avoir raison. Il faut aussi admettre qu’un régime n’accomplit pas toujours de mauvaises choses. Il sied de savoir reconnaitre les forces et dénoncer les faiblesses, énumérer les acquis et pointer du doigt les insuffisances. Au-delà des tares que l’on peut reprocher au régime de Blaise Compaoré, les plus criantes semblent celles de n’avoir pas trop œuvré à la réconciliation nationale et de refuser de tirer les leçons de ses erreurs au point d’inscrire son pouvoir dans l’éternité. Face à cette myopie, s’est dressée une opposition jusqu’au-boutiste, s’écartant de son rôle de veille pour être manipulatrice et affabulatrice.

Au grand tournant de l’histoire sociopolitique du pays, les mêmes dérives persistent. Le duo Partis politiques-Organisations de la société civile (OSC) n’a fait que donner des gongs qui ont entretenu des braises ardentes. Le tandem Zida-Barry, alliant Défense et Sécurité, a passé son temps au cœur de la complotite avec des intrigues au sein de la Grande muette et des renseignements généraux téléguidés. A tel point que l’ex-parti au pouvoir, le CDP et ses alliés, dont la maturité des acteurs de la Transition aurait pu amener à une reconnaissance sans ambages des responsabilités dans la déconvenue de l’Etat de droit, ont commencé à bénéficier d’une certaine sympathie au regard des maladresses au sommet de l’Etat.

Il ne faut pas se leurrer les anciens partisans de Blaise Compaoré ne vont pas se laisser enterrer de sitôt. Sonnant le réveil et la renaissance, ils se sont déjà lancés à la conquête du paysage politique. C’est de bonne guerre car l’Etat de droit est toujours en vigueur. Les autorités préfèrent les échappatoires et les fuites en avant, cherchant des boucs émissaires plutôt que d’attaquer les problèmes de front. En attendant que le bras de fer entre le RSP et le Premier ministre livrent un jour tous ses secrets, le gouvernement remanié semble avoir pris la mesure du dérapage lié à la connivence entre les anciens détenteurs des portefeuilles de la Défense et de la Sécurité. Il reste à résoudre l’épineuse question posée par l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO pour rendre la loi électorale plus juste.

Encore une fois, les Burkinabè reviennent de loin. Et ils doivent continuer de prier Dieu et les mannes des ancêtres pour que les uns et les autres parviennent à diluer leur bière de mil. A force d’attiser les rancœurs et de semer à profusion les graines de la division, la prouesse de tout un peuple, les 30 et 31 octobre 2014, a failli tourner au vinaigre voire au cauchemar. Tant certains Burkinabè ont transformé la période transitoire en une phase d’aventure où le pays est devenu une éprouvette pour expérimenter et accomplir ce qui n’a pas l’être en cinquante-cinq (55) ans de souveraineté. Sur le papier, en matière de lois et de règlements, le Burkina Faso semble avoir pris une longueur d’avance sur de nombreux pays. Mais les faits révèlent tout autre. La Transition aurait gagné en essayant une conciliation de la théorie et de la pratique. Amenant du coup, les citoyen(ne)s à admettre qu’une République a ses valeurs et une démocratie repose sur des principes.

Les élans populistes et démagogiques du Premier ministre, couplés aux velléités revanchardes du Président du Conseil national de Transition (CNT), n’ont pas permis de satisfaire cette préoccupation dès les premières heures. Quand une personnalité est aux affaires, les convictions politiques et religieuses s’effacent devant la place et le rôle régaliens du pays, de l’Etat et de la Nation. De même, ce n’est pas tout l’avenir de la République qui se discute sur la place publique même s’il s’est trouvé un certain Zida pour enivrer, aux premières heures de ses ambitions inavouées, la foule en prétendant que toutes les décisions se prendront à la Place de la Nation. Les notions de pays, d’Etat, de Nation doivent d’abord être inculquées à toute personne désirant de hautes fonctions. Même en cette phase de la transition, le principe de la séparation des pouvoirs est toujours en vigueur. La persistance des amalgames ignorant cela est à déplorer. Chacun parle et accuse au hasard. Or, un peuple qui n’est pas réconcilié grâce à une justice sincère et équitable ne peut envisager l’avenir dans la sérénité.

L’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 aurait été une aubaine pour tout le Burkina Faso de se ressaisir comme ses colons l’ont fait après leur Révolution du 14 juillet 1789. Au-delà du procès personnel de Blaise Compaoré, chacun des quinze (15) millions de Burkinabè devrait s’adonner à sa propre introspection pour jauger sa conscience en prenant l’engagement que seul l’intérêt supérieur et général devrait guider sa conduite. Au lieu de fumer le calumet de la paix, certaines autorités de la Transition ont préféré allumer le chalumeau de la haine avec des envolées décisionnelles sans légitimité. Les institutions de la Transition et leurs autorités ont parfois manqué de lucidité et se sont écartées aussi bien du temps qui leur est imparti que de leur mission première à la tête du pays pendant cette phase cruciale de son histoire socio-politique. Heureusement que face à l’errance juvénile du Premier ministre, Isaac Yacouba Ziba et à l’impatience caractérielle du Président du Conseil national de la Transition, Moumina Cheriff Sy, se trouve l’attitude d’un vieux singe, en la personne du Président Michel Kafando.

Son flair, son dynamisme et sa perspicacité gérontocratique ont évité à la Nation de sombrer dans l’abime inconsciemment creusé par les relents clair-obscur des « Os d’une société si vile » appelés OSC et de loques politiciennes en perte d’aura. Les postures de règlements de compte et de chasse aux sorcières, adoptées çà et là, ont, à juste titre, radicalisé les positions des vaincus d’hier. D’autant que les initiatives prises ne s’inscrivent pas souvent dans une logique ni de « Vérité, Justice & Réconciliation » ni de moralisation de la vie publique mais d’une vision hégémonique des vainqueurs. Or, il n’est pas exclu que les dirigeants actuels répondent plus tard de leurs actes. Un tel scénario voudrait que les Burkinabè, dans leur ensemble, se rechignent à entourer l’action publique d’un arsenal juridique et judiciaire qui s’impose à toutes et à tous. De telle sorte que tout dirigeant, qui accèdera à la tête du pays, ait conscience de l’obligation de rendre compte de sa gestion tôt ou tard.

Non seulement la terre des « Hommes intègres » paient cash le lourd tribut des longs règnes qui ont capitalisé tant d’erreurs et d’injustices mais aussi elle est confrontée à l’incapacité de ses filles et de ses fils à transcender leurs divergences pour bâtir une nation véritablement réconciliée avec elle-même. Que les Burkinabè se rendent à l’évidence ! Aucun pays ne peut éponger en quelques mois seulement un passif aussi pesant et douloureux d’un règne de vingt-sept (27) ans presque sans partage. Cette sagesse aurait guidé les institutions de la Transition et leurs personnalités respectives à poser les jalons d’un pays dorénavant bâti sur la justice sociale et des valeurs démocratiques indéniables. Or, tout apparait comme sur une scène où règne une collusion entre différents acteurs appelés à rester pourtant indépendants.

La question de l’armée en général et celle du RSP en particulier, le sort à réserver aux anciens dignitaires de l’ex-régime ainsi que la suite à donner aux nombreux dossiers de crimes économiques et de sang auraient pu trouver des solutions idoines, même dans le long terme, n’eût été cette excitation indigne qui s’est emparée de la majorité des OSC et de certains hommes politiques en perte de vitesse. Leurs micro-comportements ont déteint le caractère indépendant des institutions de la Transition. Il se trouve une race de Burkinabè qui profite grassement de la situation actuelle au point de s’activer à ce qu’elle perdure. C’est bien dommage !

Filiga Anselme RAMDE
filiga_ramde@yahoo.fr
Pour lefaso.net